Une si merveilleuse semeuse de bordel…

Louise est une adepte du merdier, des merdouilles, des bidules-chose qui s’agencent avec d’autres trucs-machins pour faire un « je-ne-sais-quoi » aux propriétés forcément extraordinaires, et ce partout et dès qu’elle le peut. Il m’a fallu un peu de temps pour comprendre que c’était dans son caractère, que c’était heureusement incontrôlable, que peut-être même c’était une qualité, et que peut-être même encore, nous n’étions pas pour rien dans l’émergence de ce trait de personnalité.

Je ne suis pas un modèle d’ordre et de discipline. Non. Je ne suis pas non plus ce qu’on pourrait appeler un rebelle, n’allons pas jusque-là (ma période punk a culminé entre les Spice girl et Louise attaque, c’est vous dire…). J’apprécie de ranger à intervalle régulier, souvent plus pour ranger ma tête que par amours des surfaces cleans. Mais je ne suis pas habité par le goût de l’ordre non plus. Je ne me relève pas la nuit, hanté que je serais, par exemple, par le souvenir d’une tasse qui traînerait sur mon bureau ou sur la table du salon (et heureusement, une des passions de Margot consistant à semer dans toute la maison des tasses de tisane froide – on a les passions qu’on peut).

En bref, je me qualifierais de mesuré dans bien des domaines comme sur les questions de rangement.  Je tolère le bazar, voire je l’apprécie dans certaines zones circonscrites, tant qu’il demeure, lui aussi, mesuré.

Louise est une bordélique totale. Ou plutôt, parce j’ai appris à essayer de me mettre à sa hauteur, de ne pas calquer mes fonctionnements et mes attentes d’adulte sur sa vie d’enfant, je dirais qu’elle possède son propre système de rangement, d’ordonnancement, qui lui appartient et n’appartient qu’à elle. Mais disons que, dans mon système d’adulte mesuré en tout (ben oui, pardon, mais je n’ai que celui là), elle est BOR-DE-LI-QUE PUISSANCE 1000.

Laisser ma fille jouer deux heures dans sa chambre, seule, revient à planifier méticuleusement le saccage d’une éventuelle tentative de rangement qui aurait eu lieu un peu plus tôt. En quelques minutes, le tapis se retrouve envahi, recouvert d’un monticule de jeux et jouets mélangés à des fringues, du bois (oui, du bois, on habite en bordure de forêt, je soupçonne un écureuil de toquer régulièrement à sa fenêtre et de faire avec elle des échanges « bois contre chocolat aux noisettes », étant donné la vitesse avec laquelle celui-ci disparaît du placard), des cailloux (on a des cailloux aussi), une cuillère en bois, une tong et j’en passe. RIP Marie Kondo.

Patients, nous avons tout essayé. Rendre ludique le rangement avec un système de boites dédiées à chaque jeu, ou groupe de jeux, façon Montessori. Check. Ce que Maria n’avait pas prévu, c’est qu’il faut, pour que ça fonctionne, que l’enfant trouve aux jouets à ranger d’autres similitudes que le lien imaginaire, très provisoire, qu’elle a tissé entre eux. Prenons un exemple très simple : Oui, il pourrait être logique de mettre toutes les marionnettes ensemble, dans une boîte. Oui, mais non, marionnette, cela ne semble pas être une caractéristique suffisamment rassembleuse pour Louise. En revanche, il est très logique de ranger ensemble la marionnette mouton, deux legos orange et une vieille coquille de noix, parce qu’ils ont cohabité dans sa précédente histoire… Et tout ça change au grès des heures, de sorte qu’il est impossible de faire émerger un système de classement…

Oh, ça, nous avons multiplié les boites. Alors bien sûr, nous pourrions encore en acheter le double ou le triple, pour créer des sous-sous-sous-sous-catégories de rangement : La boite des bouchons de feutres violet qui ne marchent plus mais qu’il ne faut jeter sous aucun prétexte, la boîte des élastiques verts flingués, celle des semi-flingués, la boite des épées de personnages, la boite des bijoux en perle, en pâte fimo, en papier crépon, en vieille dentelle de soutien-gorge etc. Mais ça va, hein, j’ai déjà l’impression d’habiter au rayon « caisses et rangements »  d’Ikea…

Il m’est arrivé, pour chercher à comprendre, d’essayer de décortiquer la naissance du jeu chez Louise. Et je suis arrivé à un constat : l’imaginaire est partout, comme une source intarissable (Je ne m’en plains pas, c’est chouette, c’est merveilleux, mais quand c’est partout, partout, tout le temps, il arrive parfois que la fierté s’efface un instant pour laisser la place à un puissant et tenace sentiment de « çacasselescouillerie »). L’autre jour, je rentre dans sa chambre et je la découvre en train de dessiner au feutre sur sa commode. Je l’interromps en poussant « un peu » la voix (Ok, j’ai littéralement meuglé…).

« Louise ! Tu as conscience de ce que tu fais, là ? »

Et là, j’ai vu, dans son regard, que la réponse était évidemment non. Non. Elle n’en avait pas conscience. Elle n’avait pas réalisé qu’elle écrivait sur une commode que ses grands-parents lui avait acheté, que je m’étais crevé à monter et à fixer au mur, qui était de ce joli rouge qui allait si bien avec la peinture au mur… Non.

« Mais papa, c’est pour que ma poupée puisse voir les inscriptions… Parce que sur son bateau… Et les indiens et les lapins qui attendent pour mesurer… De la glace sur la mer de vêtements… »

Voilà.
Comme vous, je n’ai rien compris. Enfin si, j’ai compris que je venais de la sortir de son monde à elle. Comme lorsqu’on rêvasse et qu’on ne voit pas le temps passer… Tiens, cela fait longtemps que je n’ai pas rêvassé au point de ne pas voir le temps filer…

On en revient toujours à la même chose. Comment cohabiter, entre nous, adultes, qui ne rêvassons sans doute plus assez et nos enfants, si souvent dans leur monde ?
En réalité, j’ai décidé d’arrêter de vouloir dompter cet imaginaire galopant, même si parfois, il m’épuise. J’envie ma fille qui a, en déploiement, cette si belle capacité à s’affranchir des contraintes pour rêver.

Après quelques crises de nerf, par vague, nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il ne fallait plus chercher à lui faire ranger les choses selon nos idéaux. Des idéaux de parents pour qui aucun lien raisonnable n’unira jamais un écrou, un oeil de Monsieur Patate et une vieille culotte… Et pourtant…
Nous avons mis en place des règles simples. Deux : 1) Rien sur le sol de la chambre à la fin de la journée pour un coucher serein (ou simplement pour parvenir à atteindre le lit). 2) Pas de jouets qui traînent dans les espaces communs (Pas de château de prince esseulé en PQ dans les toilettes, pas de grotte aux ours dans notre lit – le nombre de fois où je me suis retrouvé avec un lego ou une perle coincé.e.s dans la raie de vous savez quoi…) Deux règles. Voilà. Efficaces. Donnez-nous le code du travail et on vous le simplifie en deux secondes (Aux travailleuses et travailleurs, la plus-value de leur travail, voilà, bim, c’est fait).

Nous avons créé un petit espace de jeu, en plus de la chambre, caché derrière une palissade en bois, qui est devenu le lieu du bazar créatif qu’on ne veut pas ranger le soir. Bien caché, mais bien connu d’elle.

J’ai un ami sévèrement dépressif et hypersensible qui me dit sans cesse « Vois-tu, après tout, il est plutôt bon signe d’être malheureux dans un monde si mal en point. C’est le contraire qui serait étonnant ». A nos enfants qui ont encore si intacte cette source de liberté, de rêve et d’enchantement dans un monde qui a tant perdu de vue ses utopies, laissons le champs libre. Essayons même de nous y abreuver…

Alors rêve, Louise, rêve et continue de faire cohabiter harmonieusement tous ces bidules si dissemblables. Et s’il te plaît, de temps en temps, embarque-moi.

L B-S

Petite chronique d’un matin de rentrée

Soyons honnêtes. On a beau se préparer, une rentrée, cela donne toujours un résultat qui oscille entre semi-merdique et carrément catastrophique. L’expérience de parents, c’est savoir qu’elle sera un naufrage. Un petit naufrage ou un gros naufrage, un naufrage jugulé, mais un naufrage quand même. On n’évite pas un iceberg, il a trop de charisme. Surtout lorsque deux des rameurs de la frêle embarcation familiale ont moins de 4 ans. C’est comme ça.

Pourtant, en ce qui nous concerne, les répétitions s’étaient bien déroulées. Mentalement, j’entends (oui, rassurez-vous, on n’est quand même pas allé·e·s jusqu’à simuler une vraie rentrée live en plein milieu du mois d’août. On est parfois un peu frappé·e·s, mais il y a des limites). Hier soir, tout semblait sur le point de se passer comme sur des roulettes. Les affaires étaient prêtes, les enfants couchés à une heure raisonnable, Margot et moi avions même trouvé l’énergie de nous poser sur le canapé pour mater un film, savamment choisi, une bleuette tendre et moderne, « Mon bébé » avec Sandrine Kiberlain (L’histoire d’une mère qui se remémore la petite enfance de ses enfants juste avant de voir sa dernière partir, après le bac, au Canada). Oui, la veille de la rentrée, on aime bien se la jouer masochistes, pleurnicher un coup en se disant que le temps passe trop vite, et qu’on aura à peine eu le temps de profiter d’eux qu’ils seront déjà en train de souscrire un prêt immobilier…

Quoiqu’il en soit, hier soir, nous étions prêt·e·s.

Le lever de rideau était prévu à 6h10, tout allait bien se passer.

5h du mat’, je dors depuis 4h, quand Margot se jette sur moi et me secoue avec « la-légèreté-soi-disant-caractéristique-de-son-genre-mon-cul, » c’est à dire comme une brutasse :

–  Gommette a un problème !

Petite parenthèse explicative (musique d’ascenseur). Il y a maintenant 4 mois, comme nous ne trouvions pas la vie assez compliquée avec deux enfants de 1 mois et 4 ans, nous avons adopté une petite chienne, que nous avons appelé Gommette parce que c’est l’année des P, qui est aussi adorable qu’elle est dévastatrice, bref, nous l’aimons avec autant de force qu’elle en met à mâchouiller nos vies et nos chaussures. Mémorisez son petit prénom, elle risque de devenir un personnage récurrent de ses chroniques désastreuses et enthousiastes de notre vie de parents.

J’entends donc la-dite Gommette hurler à la mort. Je me précipite. Margot me hurle tout autant à la mort, tandis que je fonce : « Elle doit se faire attaquer par une fouiiiiiiine ! ». Quoi ? Mais depuis quand on a des fouines dans la cour, et puis surtout, c’est petit, une foui… et vlan, je négocie mal le virage des toilettes et je me cogne le mur en pleine face. Séché. Je continue mon périple en boitillant, me prends les pieds dans une chaise en plein foutu milieu de mon chemin et ouvre la porte qui donne sur la cour.
Gommette est là. Elle couine, se débat… parce qu’elle s’est prise les deux pattes de devant dans le minuscule fil d’un store. Je la libère en maudissant la vie, elle me couvre de léchouilles reconnaissantes (Les léchouilles, c’est dégueulasse, de base. Mais alors, à 5h du matin, ça donne envie de mourir dans de la pâte à prout – dédicace à Guillermo Guiz) et je retourne me coucher, le cou en vrac.

6h10, lever de rideau. Le vrai. L’officiel. Je m’étais imaginé Noureev, accomplissant mon ballet du matin avec une grâce et une rigueur millimétrée, décongelant du pain d’une main tandis que l’autre lançait un café, tartinant comme d’autres jouent de la harpe. Mais c’est C3PO qui s’extraie du lit. Un torticolis cataclysmique me vrille les cervicales.

Je tente de tenir mon rôle, il ne faut pas que je sois celui qui retarde le bon déroulement de la Première.
Café, pain, hop, je verse les croquettes des chats et du chien. Gommette me saute dessus et m’achève, sans doute pour me remercier de lui avoir sauvé la vie (c’était un fil de store, un putain de fil de store !!!! Tu as explosé une de mes paires de chaussures en cuir façon koundelitch et tu n’es pas foutue de te libérer d’un fil de 4 millimètres d’épaisseur ???!!!). J’avale mon café, tout roule à peu près en fin de compte. Il ne me reste plus qu’à sortir promener la chienne un petit quart d’heure (tiens, avant,  il faisait jour à cette heure-ci… et chaud…), et à ouvrir aux poules (Charge mentale en milieu rural… Vous me direz qu’on pourrait avoir une vie plus simple si nous n’habitions pas dans une annexe du zoo de Beauval, et vous n’auriez peut-être pas complètement tort).

Sauf qu’à ce moment-là…

« Papa. Papaaaaaaaaaaaa.

– Mais… Il est 6h30 ! Alors là, je dis non ! Non ! Non, non et reNon. Louise, c’est pas l’heure. C’est pas TON heure. Ton entrée en scène, c’est plus tard, Louiiiiiise, dans ta chambre »

– Mais papa, je veux pas voir Monsieur Blanquer…

– Que ? Quoi Monsieur Blanquer? Le ministre ? (Ca y est, la pièce vire surréaliste, Ionesco est aux manettes). Mais qu’est ce que tu racontes ? (Mais bon sang, tu ne peux pas, une fois, une seule petite fois, t’en tenir au texte que j’avais imaginé pour toi ? Un simple « Bonjour papa, je suis de bonne humeur, j’ai incroyablement envie que le début de la matinée se passe exactement comme tu l’avais imaginé, sans aucune de ces aspérités permanentes qui rendent votre quotidien, à toi et à maman, si merveilleux et, dans le même temps, nécrosent vos corps et vos âmes par un furieux processus de vieillissement accéléré ???!!!)

– Je veux pas voir Monsieur Blanquer. Il est méchant, il me fait peur.

– Mais Louise, qu’est ce que viendrait fout… faire Monsieur Blanquer dans ton école ? Maternelle ?!!! De province ??!!!!!!!

– L’autre jour, vous avez dit qu’il était méchant.

– L’autre jour ? Mais quand ça ?

– L’autre jour, quand vous buviez de la bière. (On sort des vacances, ma chérie, si tu pouvais être un tout petit peu plus précise).

Ah ça y est, je reconstitue le puzzle. L’apéro de la semaine dernière. Avec des amis enseignants. Eh ben voilà, voilà ce que ça engendre de parler, sans filtre, politique en présence d’enfants (je note que nous avons aussi passé tout l’été à parler effondrement de la société thermo-industrielle, mais que visiblement, ça, tu t’en contrefiches. Ce qui n’est finalement pas pour me déplaire tant la chose est un peu désespérante… Bref). Je fusille mentalement Margot, qui a très souvent été à l’origine des débats (en réalité, je lui lâche mentalement Gommette dessus, pour une séance de léchouilles. Allez, venge mon cou, ma chienne).

– Louise, Monsieur Blanquer ne sera pas là, je crois que je peux te le promettre sur ce qui me reste de cervicales intactes.

– C’est quoi des verticales ?

– Des ? … Bon, laisse tomber, allez viens, je vais te lire ton histoire du matin. Tu as bien dormi ?

– Non, je suis un peu stressée… J’ai peur de Jérémie et de Monsieur Blanquer.

– Oui, oui, pour Monsieur Blanquer, j’ai bien compris, je t’ai dit que tu n’avais rien à craindre. Pour Jérémie, tu verras, l’année dernière, il n’était pas dans ta classe. Alors peut-être que tu n’as vu de lui que ses mauvais côtés (Sérieusement, mec, tu crois à ce que tu dis ? Tu crois que si tu avais Donald Trump à ta table, tu découvrirais un type charmant, profondément féministe et soucieux de l’avenir de la planète ? Sérieusement???). Il est possible que tu le trouves.. gentil, au final (MENTEUR! MENTEUR ! Jérémie est un petit garçon cacabeurk, et tu le sais très bien !)

« Je suis un peu stressée ». Elle m’a recentrée, cette phrase. Ils étaient là, les vrais enjeux. Monsieur Blanquer et Jérémie, tout était dit. Toutes les peurs, toutes les craintes de ce petit matin hors norme. On est allés lire des histoires, on a déjeuné à l’arrache, pas tous ensemble, le lave-vaisselle est plein et après tout, il n’y a pas de raison que cette matinée soit différente des autres qui suivront.

Enfin, à une considérable nuance près. Demain, et tous les mardis, jeudis et vendredis de l’année, je serai seul à gérer le 7h30-8h20. Seul.

Demain est une nouvelle Première. Faut que je soigne ce fichu torticolis.

L.B-S

Maman à vendre

    Il semblerait – je dis bien, « il semblerait », précaution oratoire pathétique du type, les deux pieds dans la lave, qui se demande s’il peut considérer la grosse montagne en feu qui lui fait face comme étant en éruption – que nous traversions, à l’approche des trois ans de Louise, un moment assez emblématique de cette phase enchanteresse d’émancipation, aussi appelée période du non, de la différenciation, ou du cassage de c… un peu systématique, selon qu’on soit Isabelle Filliozat ou un parent lambda. Ce moment magique aussi nécessaire et agréable que la visite annuelle chez le dentiste…

Samedi dernier, tandis que j’allumais le feu dans la cheminée au rez-de-chaussée, Louise me rejoignit, s’approcha de moi et me chuchota à l’oreille :

– Papa, toi, je veux bien te garder, mais je veux changer de maman.

J’aime tendrement les chuchotis de Louise. Je sens bien qu’elle en a saisi le concept et la raison d’être, mais pas complètement le mode opératoire. Ses mots susurrés oscillent en intensité, d’audibles voire tonitruants à complètement incompréhensibles – une brise ténue, un pet silencieux – et c’est absolument charmant.

Dans ce cas-là, les chuchotements indiquaient clairement qu’elle avait conscience que se débarrasser de sa mère n’était pas quelque chose de totalement admissible ou raisonnable, qu’il fallait prendre quelques précautions sur la forme…

Pouh la la, de mon côté, j’étais bien embêté… Si je m’attendais. Pour dire, quelques minutes avant, je venais de fixer laborieusement, dans l’escalier, un cadre photo de nous trois, lors de nos dernières vacances au Portugal. Si j’avais su…

Et puis, moi, je l’aime bien, sa mère. Pour tout un tas de raisons que vous avez saisies au tamis de mes précédents articles, j’y suis attaché. Bref, bon… Comme cette phase que traverse Louise nécessite (j’ai bien tous lu les blogs parentaux, je suis un bon papa bien appliqué) un surcroit de dialogue, de patience et de compréhension, je pris la chose au sérieux. Donc, à priori, sa mère n’était pas au courant (confer les chuchotements). C’était un bon point, cela nous laissait quand même le temps de nous retourner, de trouver une solution raisonnable.

Mais comment faire comprendre à l’astre-de-mes-jours-jusqu’alors, en douceur, qu’elle n’avait plus sa place parmi nous, du coup? L’abandonner sur une aire d’autoroute le jour du départ en vacances ? Oui, mais bon, comme j’avais aimé ces quelques années passées à ses côtés, je lui devais le respect minimum de l’y abandonner avec ses affaires. Et du coup, ça voulait dire trouver un 33 tonnes, passer le permis, ou bien multiplier les allers-retours avec le coffre de toit – galère – j’avais l’impression que l’urgence de la requête écartait d’emblée ces hypothèses. La proposer sur le Boncoin et attendre que quelqu’un vienne la chercher ? Ok, elle partirait facilement, elle est bourrée de qualités. Mais c’était présager, de façon un peu optimiste, de ma capacité à la remplacer dans de brefs délais. Car dans « changer de maman », il était bien question de remplacement. Et j’avais tellement galéré à la séduire que je doutais, avec moins de cheveux et plus de vilaines habitudes, de parvenir à en charmer une aussi bien. Bref, c’était la merde. Je tentais une négociation, convoquais la raison.

– Mais Louise, elle est très bien cette maman, pourquoi veux-tu en changer ?

– Non, je l’aime pas, elle veut pas que je dessine sur ma porte.

– Ah…

Un instant, je songeais à me rallier à la consensuelle et raisonnable prise de position maternelle. Je me ravisais. Il ne fallait pas braquer mon interlocutrice, déjà visiblement terriblement à cran. Je craignais, en prenant parti, d’être forcé d’intégrer le grand charter parental destination pétaouchnok et, alors, qui s’occuperait de nourrir les chats ? Dilemme. Déjà, je me voyais devoir inscrire, dans les critères de mon profil Tinder, rechercher une femme aimant que l’on dessine sur les portes…

J’étais en plein marasme, lorsque ma femme nous rejoignit. La tension était à son comble. Avait-elle des soupçons sur sa disgrâce et son expulsion en cours ?

– Louise, je viens de fixer une grande feuille de papier sur ta porte, comme ça, tu vas pouvoir y dessiner. Mais tu ne dépasses pas de la feuille, on est bien d’accord ?

– Oh merci, maman ! C’est trop génial !

Gros bisous.

Stupeur.

J’étais paumé… Bon, mais du coup, on lui rendait sa liberté quand même (Oui, on ne vire pas, on rend sa liberté, on offre du temps libre..), ou pas ?

Je décidais d’attendre la prochaine secousse, avec le courage qui me caractérise.

Bien sûr, Louise dépassa du papier, logiquement, et c’est moi qui m’y colla. Je commençais à lui expliquer à quel point c’était dommage, parce que ça ne partirait pas, même en frottant, qu’elle pouvait investir sa chambre comme elle le souhaitait, mais qu’on avait passé du temps à tout peindre et que c’était pas mal de respecter notre travail aussi, lorsqu’elle planta ses grands yeux dans les miens et me dit :

– Papa, tais-toi, je préfère être punie que de t’écouter.

Ouch. A l’évidence, j’étais à mon tour sur la sellette…

Déjà, je percevais les chuchotis, les manigances à venir. Les mots « aire d’autoroute » et « Boncoin » échangés subrepticement, dans mon dos… Le management de l’amour filial par la terreur. Les montagnes russes. Avoir été, l’espace d’un instant, l’employé du mois et finir, conséquence de la construction d’une affirmation de soi chaotique car balbutiante, à la photocopieuse ou aux archives…. Serrer les fesses. Tenir le temps que l’émancipation se fasse… Quinze ans minimum…

Une paille.

L.B-S

Peau à peau après la lutte

Si je devais jouer les coaches sportifs (et je force ma nature, vous l’aurez compris, je suis au sport – selon les dires de mon ami Imré – ce que Donald Trump est à une présidence humaniste et positive – une contre-illustration), je dirais qu’il s’est agi du combat le plus difficile auquel il m’ait été donné de participer.

Vous savez ce qu’on dit des staffs entourant les sportives de haut niveau, ce ne sont pas eux qui sont en première ligne, mais ils sont la condition qui rend possible les victoires. J’ai tout été pendant ces 36h d’accouchement (oui, 36h, entre le coup d’envoi un matin au réveil, et la venue au monde de Louise, une éternité, un claquement de doigts) :

– Pom-pom boy (Je te donne un M, je te donne un A. Un R, un G… M.A.R.G.O.T, Youhou ! M.A.R.G.O.T, oui, c’est toi la champio… Oui, ok j’arrête, tu me connais, je fais des blagues parce que j’ai envie de paniquer).

– Ravito (Tu veux quelque chose, mon amour ? Un gâteau ? Est-ce que tu veux un gâteau ? – Sous-entendu, depuis 5 minutes, je me sens affreusement inutile, par pitié, demande-moi quelque chose – Ou un Mars ? Un Mars, tu sais ce qu’on dit, un Mars, et ça repart, ah ah, tiens, tu ne ris pas…)

– Préparateur sportif (Tiens, appuie toi sur moi, si tu t’agrippes comme ça, ça va mieux ? Oui, accroche toi à ma nuque, comme ça, vas-y, mais vas-y, fais-moi souffrir, par pitié, je suis trop physiquement indemne, je m’en fous, on prendra un abonnement d’un siècle chez le kiné, fais ce que tu as à faire, JE VEUX PARTICIPER. C’est pire ? Merde, merde, merde…)

– Attaché de presse (Oui, belle-maman, tout va bien pour l’instant, votre fille est merveilleuse, pourquoi c’est si long ? Ben, à votre avis ? Elle s’éclate, elle fait durer le plaisir. D’ailleurs, elle m’a demandé de réserver la salle d’accouchement pour 15 jours. Non, d’ailleurs, on va s’y installer définitivement, je suis en train de refaire les peintures. Non, non, ne me rappelez pas dans cinq minutes, non, ce n’est pas la peine de venir, c’est moi qui vous rappelle quand c’est bon)

– Manager (Ma femme a demandé qu’on nous laisse un peu tranquilles, ça vous ferait suer de l’écouter un peu, bon sang !!!! Qui je suis ? Qui je suis ? Mais je suis le mari ! Vous en avez des questions ???!!! Vous acceptez du public en général ???).

Un exploit. Louise ne voulait pas nous rejoindre, malgré tout, les efforts, notre impatience à l’accueillir, l’acupuncture, les massages… Bloquée la tête dans le mauvais axe, petite fille de caractère, qui avait bien compris, 4 mois durant, quelles avaient été nos craintes d’une naissance prématurée, à la découverte d’un col entrouvert. Vous aviez peur que je sorte, je ne sortirai pas.

L’issue fut celle que vous imaginez, après que ma femme fut allée au bout de ses forces. Une issue différente de celle que nous avions projetée, autrement plus traumatisante pour la femme qui partage mes jours et mes nuits, un acte d’abandon de soi, résigné et courageux, dans l’urgence, quand les premiers signes de faiblesse cardiaque avaient pointé le bout de leurs stimuli.

J’étais seul dans les vestiaires, épuisé, hagard, accroché à la seule chose perçue après la folle bataille pour la venue au monde de notre enfant : un cri, un petit cri, rassurant. Dans l’attente, en coulisses, dans le silence des soins autour de celle que j’admirais tant pour la lutte acharnée qu’elle venait de mener.

Je n’attendais rien que de les voir, et on m’amena Louise (nous avions un prénom pour elle, un pour lui, le cas échéant). Subjugué, terrorisé.

– Monsieur, on s’occupe de Margot, on vous propose un temps de peau à peau…

Ils sont rares, ces moments, où l’on perçoit, sensiblement, que le monde va cesser, un instant, sa course folle, pour nous. J’ai ouvert ma chemise, me suis entouré d’une couverture et assis sur le fauteuil. Je sais encore précisément aujourd’hui de quelle matière il était fait, la souplesse de son plastique, le degrés d’inclinaison de son dossier, tant mes sens étaient en éveil. On me déposa Louise, minuscule, sur le torse, et je l’entourais. Indescriptible. J’écris, trois ans après, ce moment les larmes au bord des yeux. Tout à la fois en état de big-bang émotionnel et sensoriel, furieusement tendu vers le moment où je retrouverai ma femme, et ne pouvant lutter contre l’arrêt du temps, je cessais de penser. Des émotions pures. Le moment fondateur de ma paternité.

Au bout d’une ère, d’un battement d’aile, ma femme nous a rejoints. Dans sa propre bulle, intégrant la nôtre, pour la première tétée.

Je n’avais pas prévu ce peau à peau extraordinaire, je n’avais pas prévu la tempête, je n’avais pas prévu l’accalmie. J’espère que la prochaine fois que nous accueillerons un enfant, l’avant sera plus doux. Mais pour l’après, je réclamerais mon moment, je me battrais pour qu’il ait lieu, j’exigerais ce contact aux balbutiements de la vie, qui marqua ma peau et ma paternité de façon indélébile.

L B-S

Cauchemar en piscine

    Soyons clairs, s’il est une expérience collatérale de la paternité pour laquelle j’ai eu beaucoup d’appréhensions (alors, ok, après l’accouchement, l’arrivée de Louise, bébé, à la maison, les nuits… bon d’accord, en fait, j’ai eu des appréhensions pour à peu près tout), c’est précisément la piscine et les matinées bébés nageurs.

La première fois, nous sommes arrivés très en retard, lestés par mon enthousiasme modéré (Vous savez, le fameux « T’y mets pas du tien, on dirait que tu ne veux pas y aller » – Tiens donc ?) et une montagne de sacs.

Ma femme me proposa de s’occuper de changer Louise, ce qui, pour une première, ne me dérangeait pas du tout, étant donné que je pensais, en entrant dans le vestiaire des hommes, pénétrer dans l’antichambre de l’enfer adolescent : un endroit bourré de gamins boutonneux qui font tourner leur zizi comme des hélicoptères, se mettent de violents coups de claquettes dans le dos… (Trauma de mes 12-15 ans, force 10).

Rien de tout ça. Ouf. Eh, mais en fait, c’est plutôt calme et civilisé, un vestiaire. Première surprise.

J’entrais dans un box, ouvrais un premier sac et y découvrais trop d’affaires de Louise pour qu’il s’agisse de doublons OKAZOU (Les FAMEUX doublons au cas où). Merde !

Retour pressé en zone neutre. Plus d’épouse, plus de fille. Je criais le nom de ma femme (Aliiiiiine), dos à la porte battante de leur vestiaire, avec cette attitude de celui qui craint, en apercevant un bout de chair de l’équipe adverse, d’être qualifié d’Harvey Weinstein. Dépenaillé, aussi charismatique qu’un chiot perdu, mais qu’est-ce qu’elle fichait, bon sang.

Ma femme arriva en trombe, et je vis, à sa mine contrariée, qu’elle avait probablement découvert nos soucis d’organisation à un stade avancé de déshabillement. Echange et nouvelle répartition, en plein milieu du couloir.

– Bon attends, on ne va pas tout prendre pour aller au bord de l’eau, y a des trucs qui sont pour la fin de la séance (Ah oui ? Tu m’étonnes. Avec tout ce qu’on avait pris, on aurait pu filer une semaine aux sports d’hiver sans repasser par la maison)

Elle ou moi, je ne sais plus : – Ça ?

– Piscine. Et ça ?

– Pas Piscine. Et ça ?

– Casiers

– Euh, pas piscine ou casiers ?

– ON S’EN FOUT, C’EST LA MÊME CHOSE !

Retour au vestiaire. Je me changeais à toute vitesse et filais aussi vite que le permet une paire de tongs sur un sol glissant. Douche rapide et j’étais dans la place… Trop tôt. Mille fois trop tôt. Ça sentait la javel, ça hurlait dans tous les coins, je me sentais minable avec mes trois sacs (finalement, le goûter, les serviettes, et la succursale triée du dressing de Louise pour après la sortie de l’eau, mais avant le retour au vestiaire… Huit mètres de distance, soit une tenue nouvelle pour chaque demi-mètre parcouru) et ma chair de poule, sans ma fille comme faire-valoir (Vous savez, le « Il a l’air con, mais bon, il est papa  » #compassion).

Chaque pore de ma peau hurlait en braille : Mais qu’est-ce qu’on est venus foutre dans cette galère ?

Devant moi, le bain des bébés nageurs, grouillant de parents, d’enfants, et de trucs en mousse qui flottent. Ma femme et ma fille me rejoignirent. Petit bonjour gêné à la volée et nous pénétrions dans l’eau. Petit bain pour commencer. Alors là, comment vous dire ? Je ne suis déjà pas très à l’aise en slip de bain, mais quand, en plus, j’ai les testicules à ras la ligne de flottaison, c’est carrément l’enfer… Je décidais de m’immerger, de m’oublier un peu. Nous étions là pour Louise, notre bon plaisir viendrait après (ailleurs, un autre jour, dans 10 ans, je le pensais, j’avais tort).

Partout autour de nous, de chouettes moments de partage, communicatifs. Des parents qui avaient sans doute vécu les mêmes tourments d’appréhension, mais s’étaient oubliés à leur tour pour se centrer sur l’expérience de leur enfant (Exception faite, bien sûr, du couple éphèbe-bimbo et de leur adorable poupon, en démonstration permanente, façon « Instagram ton physique et ta vie de papier glacé »).

Irradiants, des sourires, parfois confiants ou juste encourageants. Des sourires bienveillants, en coin, quand la maitre-nageuse vint nous conseiller d’enlever à Louise l’armada de dispositifs gonflables dans lesquels nous l’avions enserrée, par crainte qu’elle nous glisse des bras. Jésus marchant sur l’eau, ressuscité en un petit bout de fillette d’un an. Nous étions là pour elle (A deux, on fait difficilement meilleur taux d’encadrement), il n’y avait rien à craindre…

Ce devait être le bain de l’angoisse, de l’eau javellisée et de l’urine concentrées, ça a été celui du dénuement positif, du partage et de l’abandon de soi. Peut-être la quasi nudité favorise-t-elle la bienveillance et le partage ? (Allez, tous à poil !). Parce que c’est bien connu, sans costumes, sans armures ou artifices sociétaux, moins d’attaques, de postures. Une bienveillance de circonstance, peut-être, mais qu’importe le flacon tant qu’on a l’ivresse…

Pendant une demi-heure, nous avons expérimenté, essayé d’abandonner nos craintes en même temps que Louise, dans un sentiment de totale liberté et de quasi-apesanteur. Dans notre bulle, tous les trois. Et finalement, de courtes immersions en jeux d’eau innombrables, ça a été un moment magique.

A présent, nous y retournons tous les samedis, ponctuels comme des coucous suisses. Nos sacs se sont allégés autant que nos esprits.

Alors, oui, courez-y, claquettes, moule-bites, une-pièces informes, mais volontaires et enthousiastes, on s’en fout, courez-y, aux bébés nageurs.

L.B-S

Mais que devons-nous faire de toi, petit papi ?

      Le premier Noël de l’ère dite « du début de la lucidité » pour Louise nous a posé un cas de conscience éducatif, à ma femme et moi. Que devions-nous faire de ce cher petit Père Noël ?

Ma femme était – et demeure – plutôt partisane de ne pas trop emmener notre fille dans le décorum imaginaire de Noël, un peu parasite à ses yeux, de rester sobres, d’en mettre en avant les valeurs de partage et d’attention à l’autre (bon, dis comme ça, on peut difficilement être contre, et du coup, je vais passer pour un monument de superficialité avec mon « opposition » à venir). De mon côté, j’aime en faire des caisses, raconter à Louise l’usine du Père Noël, la vie (de merde, au fond) des petits lutins, l’armada technologique des rennes et j’en passe…

Il faut donner, comme élément de contexte, Noël dernier que ma tendre moitié a vécu comme un traumatisme, en découvrant le comportement de mes petits cousins. Les trois (oui, trois, à ce niveau de réitération, c’est du serial killing), avaient agi comme des pourris gâtés, et elle avait eu envie de crier : Non, ce n’est pas le cadeau du Père Noël que vous venez de jeter avec dédain parce que vous ne l’aviez pas « commandé » (Argh…), mais le truc qu’on s’est cassé le cul à acheter et qui nous semblait un poil plus intelligent que les merdes en plastique qui vous attirent comme des mouches. Un peu plus et elle les leur faisait bouffer en espérant une intoxication au Bisphénol. Elle s’était retenue (pour la bonne fluidité des rapports TRÈS épisodiques que j’entretiens avec ma famille éloignée), mais l’expérience a laissé des séquelles.

Pour ce deuxième Noël de Louise, notre différence de sensibilité n’a pas été sans poser quelques problèmes. Tout a commencé quand nous sommes tombés sur le cadeau idéal un jour de courses où nous étions avec notre fille. En bois, peu cher, un bateau de pirates absolument génial (avec une capitaine fille !!!), qui s’arrachait comme des petits pains. Si nous sommes tombés d’accord assez immédiatement sur l’envie de le lui acheter, les conditions de l’acquisition ont fait l’objet d’un débat âpre (mais rapide et en mode chuchotis, vous l’imaginez bien, on ne s’est pas posés non plus autour d’un thé au cœur du magasin pendant une heure). Ma femme était pour qu’on le prenne, sans en rajouter, en essayant d’être discrets mais sans plus (façon fond du caddie), tandis que je refusais l’idée de prendre le risque que Louise puisse entrapercevoir ne serait-ce qu’une voile du bateau, donc plus pour la technique « Cours, cours, jusqu’à la caisse comme si ta vie en dépendait et enferme moi ça sous des tonnes de couvertures dans le coffre de la voiture, à double-tour ». J’ai remporté le débat, ma femme s’est collé au sprint pendant que je faisais diversion, arrivée à la voiture, elle avait oublié les clés, je le paye encore aujourd’hui…

Que voulez-vous, moi, j’aime cette histoire de Père Noël, j’aime entretenir la magie de ce truc, et surtout, je ne me suis jamais senti trahi par mes parents à ce sujet, il me semble plutôt avoir vécu la découverte de la vérité de façon assez douce,  comme le sésame de mon entrée dans le monde des grands garçons. Dans ma petite construction, je voudrais en revanche que le monsieur soit moins représenté. Sans entrer dans un débat tendu sur les méfaits de l’idolâtrie, s’il fallait qu’un seul personnage imaginaire demeure mystérieux jusque dans ses représentions, j’aurais aimé que ce soit lui.

L’autre illustration parfaite de notre cas de conscience a pris forme lorsque nous avons croisé, à deux reprises, des Pères Noël dits « de grande surface ». Les nôtres étaient bien faits (bravo les gars, quel courage), pas le genre barbe filasse à trois poils, 40 kg tout mouillés, acting façon « Plus belle la vie ». Non, de beaux pères Noël, tout en rondeurs joviales et ce qu’il y a de plus crédible.

Moi : – Tiens, regarde Louise, Le Père Noël.

Regard sombre (bouh, qu’il fait peur, celui-là) de ma femme et chuchotis (c’est fou comme on chuchote à l’approche des Fêtes) :

– Laurent. On a dit qu’on n’en rajoutait pas. Si elle croise des Pères Noël à chaque fois qu’on va faire les courses…

Moi : – Par contre, c’est un faux, ma chérie.

Ma femme : – Super, donc on vient de lui laisser entendre qu’il y avait un vrai. Alors qu’on avait dit…

– Aaaaaaaaaaaaaaaah (Crise de démence fulgurante)

Franchement, Petit papi, il est bien compliqué de savoir quoi faire de toi… Tu aurais pu écrire un petit manuel. Quelle stratégie adopter, quoi dire quand on arrive chez les grands-parents, que les cadeaux sont déjà au pied du sapin, et qu’il faut ajouter les nôtres ?  Diversion, pour conserver la magie ? Ok, mais difficile d’éloigner les enfants fascinés par la montagne de cadeaux (nous sommes raisonnables, mais comme nous commençons à être près d’une quinzaine, même deux cadeaux par personne, ça fait une masse). Alors on dit, ah oui, il faut qu’on ajoute ceux que le Père Noël a déposé chez nous pour papi et mamie (mais franchement, ça fait mal foutu, comme organisation). Oui, Noël, c’est comme le foot, il est plus facile de jouer à domicile.

Et que dire, quand tatie tend un cadeau en disant :

– Tiens, ma Loulou (Beurk, on s’est fait suer à l’appeler Louise, ça t’enquiquinerait de t’y conformer ?), ça, c’est tatie.

Louise : – C’est tatie ? (Ben, oui, qu’est-ce que ça veut dire, c’est tatie ? C’est tatie, le gros éléphant en peluche ???)

– Ce cadeau, c’est de la part du Père Noël de tatie.

– Elle a un Père Noël à elle, tatie ? Moi aussi, je veux un Père Noël rien qu’à moi…

Et meeeeeeerde.

Bonjour la cohérence.

Alors, bon, Noël, ce n’est qu’une fois par an, heureusement. On va finir par trouver une voie un peu cohérente, ce qui nous amènera sans doute à la majorité de Louise. Peaufiner le discours, la stratégie… Et en attendant, on va continuer à patouiller joyeusement.

Continuer à parler de toi dans un joyeux bordel où s’entremêlent le faux, le « faux complètement faux », le « un peu vrai si on regarde les choses sous un certain angle », les incohérences et les contradictions. Puis il y aura un moment ou Louise n’y croira plus, où nous aurons enchainé trop de boulettes, où les enfants de son âge seront entrés dans la partie.

Ton histoire, Père Noël, est vraiment l’illustration du fait qu’il est parfois salvateur de ne pas se prendre la tête, de vivre les choses simplement, d’accepter nos errements, de rire de ces choses-là auxquelles nous n’avions pas réfléchi 8 mois avant la naissance de notre fille.

Je t’embrasse, je t’aime bien, à l’année prochaine 😉

L.B-S

Le jour d’après

     Le week-end dernier, j’ai connu mon premier K.O, vécu une petite expérience de mort imminente, sociale et paternelle, à peine survécu à l’apocalypse.

Nous avions décidé de nous retrouver, avec quelques amis et leur tendre progéniture, pour une matinée de jeux et de partage (Plein d’enfants, plein de parents, trop de témoins, vous allez comprendre). Louise jouait à l’étage, avec les enfants de William, entre autres, et ceux de notre ami commun, Imré. J’étais au rez-de-chaussée. Lorsque tout à coup, Imré m’interpela.

– Oh, oh, oh, dis donc, le féministe de mes c… (Oui, le type n’est pas toujours d’une grande délicatesse avec moi, mais ne vous y fiez pas, je n’ai jamais rencontré quelqu’un débordant d’autant de tendresse). TA fille vient de dire à MON fils qu’elle n’a pas le droit de jouer avec des voitures parce qu’elle est (roulement de tambours orchestrés)…

UNE FILLE !

– De… Quoi ???

– Ta fille, môsieur, vient de dire à mon fils qu’elle n’avait PAS LE DROIT, je répète, PAS LE DROIT, de jouer avec les voitures qu’il voulait lui prêter parce que c’est une fille. Alors là, je dis bravo, le masque tombe.

– De… (J’étais soufflé). Elle a dit ça ???!!! Tu es sûr d’avoir bien compris ? (Le problème avec Louise, c’est qu’elle s’exprime très bien, et à de quelques rares exceptions, cela laisse peu de place au doute).

Je ne pouvais le croire…  Ce serait une fierté qu’elle repousse les bagnoles, mais pas à ce motif ! Qu’elle lui dise que ça ne l’intéresse pas, parce que ça pollue, que ça pue, que ce ne sont que des symboles d’une société de consommation à bout de souffle, qu’elle préfère jouer avec la poésie et les concepts géopolitiques mondiaux (bon, ok, là aussi, j’avoue, à 3 ans, ça serait tout autant flippant). Mais qu’elle s’interdise de s’y intéresser parce que ce serait réservé aux hommes ? Noooooon !

Bon sang, qu’avions-nous fait ??? Avions-nous mis au monde la Christine Boutin du XXIème siècle ?

Ma petite fille, ma force de la nature. Je la voulais libre et sans fers, et la projetais, en moins d’une minute, petite épouse dans la prairie attendant que son mari rentre de la chasse pour lui servir son repas. Je l’imaginais, en robe de crinoline (oui, ça, ça fait vraiment neuneu) attendre dans une salle des fêtes minable jusqu’à ses 18 ans qu’un homme vienne la chercher pour l’épouser, et lui faire découvrir les alentours de notre village. Une princesse attendant l’arrivée de son décérébré de prince, ne s’autorisant pas à prendre les armes pour aller tuer elle-même ce con de dragon.

Je la voyais subitement refuser, de son plein grè, le droit de vote, dénoncer les grandes conquêtes sociales pour l’égalité, renoncer, en plein conscience, à la liberté d’opinion, à changer une roue, à partir à l’aventure.

J’étais dévasté.

Pour mes amis, heureusement, un des autres enfants tenta d’avaler de la pâte à modeler et toute l’assemblée passa à autre chose. Mais en mon for intérieur, le chaos demeurait. On parle souvent de la réaction de rejet inéluctable des principes de vie parentaux comme une étape incontournable de la construction de l’enfant, mais à l’adolescence, pas à 3 ans ! Et que cela s’illustre en devenant gothique ou tradeuse autodidacte, ok, mais pas anti-égalitariste !

A quoi bons nos choix scrupuleux de dessins animés avec des héroïnes badass, à quoi bonnes nos sélections littéraires à base de filles aventurières et curieuses !

De retour à la maison, ma femme remit les choses à plat (Elle est bien ma femme, elle a souvent raison, elle est à la pondération ce que je suis à l’excès et à la dramatisation : une référence). Elle me rappela que nous n’étions pas les seules figures d’éducation de Louise, que nous ne savions pas ce qu’elle entendait ailleurs, qu’il ne fallait pas baisser les bras. Qu’elle était en construction, et que le temps allait faire son affaire. Tout était vrai. M’enfin…

Il n’empêche, maintenant, tous les matins, au réveil, je lui clame : « Bonjour ma chérie ! Il fait beau ce matin et n’oublie pas, tu as le droit de jouer avec des voitures qui puent. Tu peux entreprendre tout ce que tu veux, l’avenir t’appartient. »

Si avec ça, je n’en fais pas une passionnée de tuning…

L.B-S

 

Une fille, son père et l’enfer sous les tropiques de plastique.

        Il est une terre de contrastes émotionnelles pour moi, un endroit à nul autre pareil où je suis tout à la fois gamin de 3 ans et papa horrifié : les structures de jeu payantes, couvertes.

Oui, je brise un tabou : tout papa positif que je tente d’être, j’aime aller avec Louise dans ce genre d’endroit. Quand la maison devient trop petite pour ma petite tornade et qu’il pleut comme vache qui pisse, quand je n’en peux plus d’enchainer les activités manuelles frénétiquement, ou que peinture et pâte à modeler, pâtisseries et coloriages me sortent par les yeux. J’y suis tel un curé à Pigalle, c’est un plaisir honteux.

J’y aime follement les jeux proposés et la sécurité déployée. J’y déteste en vrac : les autres enfants, les autres parents, les jeux payants, les crêpes hors de prix, le goûter maison interdit, le bruit, la déco criarde… (J’en appelle à Manu, crée donc un service public des parcs de jeux couverts et tu remonteras dans mon estime à près de 80% de taux de satisfaction. La loi travail, la baisse des APL, la suppression de l’ISF, tout ça sera oublié).

Nos incursions dans ce petit monde de l’hystérie enfantine sont assez ritualisées. La porte s’ouvre, la chaleur, les cris et l’euphorie nous enveloppent et nous happent, et l’excitation s’empare de nous. Mon taux d’adrénaline grimpe. Ça va être à moi. Protecteur, joueur, Suiveur. Vite, vite, nous fendons la foule des parents qui patientent à leurs tables comme on patiente chez le garagiste pendant la révision d’une voiture, jetant parfois un regard au loin pour vérifier l’intégrité physique de leur môme. Il balance des legos géants à la tête d’un autre enfant ? Bon, ça va, tout est prévu, ils sont en mousse, oui, donc, je te disais, Chantal, elle a vraiment un problème avec le travail, cette conne….

Nous quittons nos chaussures et cherchons une petite chaise libre pour les y installer, avec nos affaires. Rien de précieux dans notre sac, si ce ne sont les compotes du goûter qu’on bâfrera en loucedé à l’abri du regard des gérants. Dans mes poches, le strict minimum pour ne pas être encombré. Et là, c’est parti ! Louise n’a pas encore trois ans, mais elle n’a que faire de l’espace qui lui est réservé. Le monde des 4-8 ans, c’est notre terre d’aventures, un endroit qui ne nous est pas destiné, ni à elle, ni à moi, un parfum d’interdit (Oui, depuis que je suis papa, j’ai la transgression minimaliste). On enchaine les toboggans, on escalade des gros cubes de mousse, on plonge dans les piscines à boules…

Je suis bodyguard, je suis rempart, contre les grandes furies plus costaudes que Louise, qui courent comme des taureaux, je suis marche-pied quand l’obstacle est insurmontable. Parfois, j’ouvre les yeux, je redeviens adulte, ça me soule, je râle, quand je vois une petite fille de 6 ans, qui est allée extraire sa sœur d’à peine 24 mois (oui, en mois, ça dramatise) de son espace réservé pour essayer de la hisser au sommet du plus haut sommet, comme une poupée de chiffon. Je la remets sur le droit chemin et replonge aussi sec en enfance. Oh, un autre parent avec son fils dans la structure ! On se salue, on essaye de se croiser, encombrés tous les deux par nos corps surdimensionnés pour l’espace (c’est le seul endroit sur terre où mon corps est surdimensionné). Dans le regard, de l’estime respective. Et chacun poursuit son exploration.

Vient toujours, dans l’après-midi, un moment où Louise finit par être happée par un des odieux dispositifs d’engrangement de fric supplémentaires disséminés un peu partout dans la structure. Un distributeur de balles rebondissantes par ci, un mini flipper par là. Louise, on a déjà payé l’entrée… La plupart du temps, ça marche. Sinon, oh ! Un calamar (Louise adore les histoires de calamar géant) et finalement, nous voilà repartis.

Après deux heures de jeu, en sueur (et en ce qui me concerne, quand mes oreilles commencent à saigner), nous repartons. J’aime voir ma fille aller remercier les gérants, comme s’ils étaient de gentilles fées généreuses (alors que moi, je sais que ce sont de vilains trolls des montagnes, assis sur un trésor).

C’était bien, papa.

Coool.

La prochaine fois, maman viendra avec nous ?

La prochaine fois, tu viendras avec maman, chacun son tour.

Un jour, je resterais à la maison comme ça, vous pourrez venir tous les deux.

(…) C’est gentil, ma chérie (Alors, comment dire, j’émets l’hypothèse que ce jour-là, on choisira peut-être une autre activité…)

Voilà, je suis fier de parvenir à t’emmener dans ce genre d’endroit (et d’en sortir vivants). Je ne te soustraits pas à cet aspect du monde, un peu consumériste, un peu superficiel, un peu préfabriqué, peut-être que je le devrais… Je ne sais pas. Je me dis qu’inéluctablement, tu y seras confrontée, tôt ou tard. Qu’il est de mon rôle de t’apprendre à vivre avec, à la bonne distance. Oh, et puis, merde, ça, ce sont mes schizophrénies d’adulte. On a juste passé un putain de bon moment…

L.B-S

 

Journée de merde pour Bergamote.

        Hier, j’ai assisté à un petit drame du quotidien. Nous nous apprêtions à partir chez la nounou, comme chaque matin de la semaine, et je préparais le sac pour la sieste. D’ordinaire, j’y fourre d’autorité et par habitude les deux peluches, le doudou (un carré de coton sans âme, à l’odeur franchement fétide la plupart du temps) et une tétine, plus utilisée, mais réclamée quand elle vient à être oubliée.

Parmi ces deux peluches, il y a l’incontournable : Bergamote, une gentille poupée un peu rondelette, jaune, qui accompagne Louise depuis ses premiers moments de vie. C’est l’amie de toute petite enfance, la complice de ces beuveries de lait qui finissaient immanquablement cul par dessus tête, dans le couffin.

Hier, le hasard a fait que nous avons préparé le sac ensemble, avec ma fille.

Je m’apprêtais à enfermer Bergamote dans le sac, quand Louise m’interrompit.

– Non, papa, pas celle-là (celle-là, ce truc, ce machin, ce bout de rien). Je la veux pas. Plutôt Lapin.

Je vous assure que j’ai senti la mousse qui compose le corps de cette pauvre poupée tressaillir. Chaque fibre de son corps tressauter. Elle vivait son cauchemar “Toy story”. J’ai reposé la délaissée sur le bord du lit, saisi Lapin, qui fanfaronnait, le salopard (je lui ai coincé une oreille dans le zip du sac, ça lui apprendra) et nous sommes partis. Ma fille n’a pas eu un regard pour la triste poupée, que la gravité avait ramassé en un tas de tissu informe.

J’en étais bouleversé. J’ai tout vu dans la détresse de Berga, le passé, le futur : la première fois que notre fille nous demandera de ne pas l’accompagner jusqu’aux portes de l’école, parce que c’est bon, papa, je suis une grande, je n’ai pas besoin que tu me tiennes la main jusqu’au bout (Et moi, si j’en ai besoin, ça compte pour du beurre??!); la dernière fois que j’ai été choisi en dernier pour constituer  une équipe de foot (c’est à dire la dernière fois, et toutes les autres fois avant, que j’ai joué au foot, en fait).

J’ai déposé Louise chez la nounou, je l’ai embrassée, mais mes pensées étaient ailleurs. J’ai travaillé ce matin-là, sans être complètement à ce que je faisais.

Et à midi, quand je suis rentré pour le déjeuner, j’ai couru jusqu’à la chambre de ma fille. Berga était toujours là, boule informe, les fesses de notre chat posées sur le visage (une journée de merde, c’est une journée de merde, même chez les poupées). Je l’ai prise dans les bras et je lui ai fait un gros câlin. Je l’ai rassurée, le vent tourne, quand je le pourrais, je la remettrais d’autorité dans le sac… Une promesse. Et si par malheur, elle venait, définitivement, à ne plus avoir de place aux côtés de ma fille, je lui ai assuré un avenir dans notre lit parental, à jamais. Qu’importe les qu’en-dira -t-on.

Je l’ai promis à chacun des autres êtres de chiffon qui occupent le lit de ma fille. Ce sera notre secret. Notre pacte des laissés pour compte.

Toi, tu sais.

L.B-S