Journée de merde pour Bergamote.

        Hier, j’ai assisté à un petit drame du quotidien. Nous nous apprêtions à partir chez la nounou, comme chaque matin de la semaine, et je préparais le sac pour la sieste. D’ordinaire, j’y fourre d’autorité et par habitude les deux peluches, le doudou (un carré de coton sans âme, à l’odeur franchement fétide la plupart du temps) et une tétine, plus utilisée, mais réclamée quand elle vient à être oubliée.

Parmi ces deux peluches, il y a l’incontournable : Bergamote, une gentille poupée un peu rondelette, jaune, qui accompagne Louise depuis ses premiers moments de vie. C’est l’amie de toute petite enfance, la complice de ces beuveries de lait qui finissaient immanquablement cul par dessus tête, dans le couffin.

Hier, le hasard a fait que nous avons préparé le sac ensemble, avec ma fille.

Je m’apprêtais à enfermer Bergamote dans le sac, quand Louise m’interrompit.

– Non, papa, pas celle-là (celle-là, ce truc, ce machin, ce bout de rien). Je la veux pas. Plutôt Lapin.

Je vous assure que j’ai senti la mousse qui compose le corps de cette pauvre poupée tressaillir. Chaque fibre de son corps tressauter. Elle vivait son cauchemar “Toy story”. J’ai reposé la délaissée sur le bord du lit, saisi Lapin, qui fanfaronnait, le salopard (je lui ai coincé une oreille dans le zip du sac, ça lui apprendra) et nous sommes partis. Ma fille n’a pas eu un regard pour la triste poupée, que la gravité avait ramassé en un tas de tissu informe.

J’en étais bouleversé. J’ai tout vu dans la détresse de Berga, le passé, le futur : la première fois que notre fille nous demandera de ne pas l’accompagner jusqu’aux portes de l’école, parce que c’est bon, papa, je suis une grande, je n’ai pas besoin que tu me tiennes la main jusqu’au bout (Et moi, si j’en ai besoin, ça compte pour du beurre??!); la dernière fois que j’ai été choisi en dernier pour constituer  une équipe de foot (c’est à dire la dernière fois, et toutes les autres fois avant, que j’ai joué au foot, en fait).

J’ai déposé Louise chez la nounou, je l’ai embrassée, mais mes pensées étaient ailleurs. J’ai travaillé ce matin-là, sans être complètement à ce que je faisais.

Et à midi, quand je suis rentré pour le déjeuner, j’ai couru jusqu’à la chambre de ma fille. Berga était toujours là, boule informe, les fesses de notre chat posées sur le visage (une journée de merde, c’est une journée de merde, même chez les poupées). Je l’ai prise dans les bras et je lui ai fait un gros câlin. Je l’ai rassurée, le vent tourne, quand je le pourrais, je la remettrais d’autorité dans le sac… Une promesse. Et si par malheur, elle venait, définitivement, à ne plus avoir de place aux côtés de ma fille, je lui ai assuré un avenir dans notre lit parental, à jamais. Qu’importe les qu’en-dira -t-on.

Je l’ai promis à chacun des autres êtres de chiffon qui occupent le lit de ma fille. Ce sera notre secret. Notre pacte des laissés pour compte.

Toi, tu sais.

L.B-S

Laisser un commentaire