Une si merveilleuse semeuse de bordel…

Louise est une adepte du merdier, des merdouilles, des bidules-chose qui s’agencent avec d’autres trucs-machins pour faire un « je-ne-sais-quoi » aux propriétés forcément extraordinaires, et ce partout et dès qu’elle le peut. Il m’a fallu un peu de temps pour comprendre que c’était dans son caractère, que c’était heureusement incontrôlable, que peut-être même c’était une qualité, et que peut-être même encore, nous n’étions pas pour rien dans l’émergence de ce trait de personnalité.

Je ne suis pas un modèle d’ordre et de discipline. Non. Je ne suis pas non plus ce qu’on pourrait appeler un rebelle, n’allons pas jusque-là (ma période punk a culminé entre les Spice girl et Louise attaque, c’est vous dire…). J’apprécie de ranger à intervalle régulier, souvent plus pour ranger ma tête que par amours des surfaces cleans. Mais je ne suis pas habité par le goût de l’ordre non plus. Je ne me relève pas la nuit, hanté que je serais, par exemple, par le souvenir d’une tasse qui traînerait sur mon bureau ou sur la table du salon (et heureusement, une des passions de Margot consistant à semer dans toute la maison des tasses de tisane froide – on a les passions qu’on peut).

En bref, je me qualifierais de mesuré dans bien des domaines comme sur les questions de rangement.  Je tolère le bazar, voire je l’apprécie dans certaines zones circonscrites, tant qu’il demeure, lui aussi, mesuré.

Louise est une bordélique totale. Ou plutôt, parce j’ai appris à essayer de me mettre à sa hauteur, de ne pas calquer mes fonctionnements et mes attentes d’adulte sur sa vie d’enfant, je dirais qu’elle possède son propre système de rangement, d’ordonnancement, qui lui appartient et n’appartient qu’à elle. Mais disons que, dans mon système d’adulte mesuré en tout (ben oui, pardon, mais je n’ai que celui là), elle est BOR-DE-LI-QUE PUISSANCE 1000.

Laisser ma fille jouer deux heures dans sa chambre, seule, revient à planifier méticuleusement le saccage d’une éventuelle tentative de rangement qui aurait eu lieu un peu plus tôt. En quelques minutes, le tapis se retrouve envahi, recouvert d’un monticule de jeux et jouets mélangés à des fringues, du bois (oui, du bois, on habite en bordure de forêt, je soupçonne un écureuil de toquer régulièrement à sa fenêtre et de faire avec elle des échanges « bois contre chocolat aux noisettes », étant donné la vitesse avec laquelle celui-ci disparaît du placard), des cailloux (on a des cailloux aussi), une cuillère en bois, une tong et j’en passe. RIP Marie Kondo.

Patients, nous avons tout essayé. Rendre ludique le rangement avec un système de boites dédiées à chaque jeu, ou groupe de jeux, façon Montessori. Check. Ce que Maria n’avait pas prévu, c’est qu’il faut, pour que ça fonctionne, que l’enfant trouve aux jouets à ranger d’autres similitudes que le lien imaginaire, très provisoire, qu’elle a tissé entre eux. Prenons un exemple très simple : Oui, il pourrait être logique de mettre toutes les marionnettes ensemble, dans une boîte. Oui, mais non, marionnette, cela ne semble pas être une caractéristique suffisamment rassembleuse pour Louise. En revanche, il est très logique de ranger ensemble la marionnette mouton, deux legos orange et une vieille coquille de noix, parce qu’ils ont cohabité dans sa précédente histoire… Et tout ça change au grès des heures, de sorte qu’il est impossible de faire émerger un système de classement…

Oh, ça, nous avons multiplié les boites. Alors bien sûr, nous pourrions encore en acheter le double ou le triple, pour créer des sous-sous-sous-sous-catégories de rangement : La boite des bouchons de feutres violet qui ne marchent plus mais qu’il ne faut jeter sous aucun prétexte, la boîte des élastiques verts flingués, celle des semi-flingués, la boite des épées de personnages, la boite des bijoux en perle, en pâte fimo, en papier crépon, en vieille dentelle de soutien-gorge etc. Mais ça va, hein, j’ai déjà l’impression d’habiter au rayon « caisses et rangements »  d’Ikea…

Il m’est arrivé, pour chercher à comprendre, d’essayer de décortiquer la naissance du jeu chez Louise. Et je suis arrivé à un constat : l’imaginaire est partout, comme une source intarissable (Je ne m’en plains pas, c’est chouette, c’est merveilleux, mais quand c’est partout, partout, tout le temps, il arrive parfois que la fierté s’efface un instant pour laisser la place à un puissant et tenace sentiment de « çacasselescouillerie »). L’autre jour, je rentre dans sa chambre et je la découvre en train de dessiner au feutre sur sa commode. Je l’interromps en poussant « un peu » la voix (Ok, j’ai littéralement meuglé…).

« Louise ! Tu as conscience de ce que tu fais, là ? »

Et là, j’ai vu, dans son regard, que la réponse était évidemment non. Non. Elle n’en avait pas conscience. Elle n’avait pas réalisé qu’elle écrivait sur une commode que ses grands-parents lui avait acheté, que je m’étais crevé à monter et à fixer au mur, qui était de ce joli rouge qui allait si bien avec la peinture au mur… Non.

« Mais papa, c’est pour que ma poupée puisse voir les inscriptions… Parce que sur son bateau… Et les indiens et les lapins qui attendent pour mesurer… De la glace sur la mer de vêtements… »

Voilà.
Comme vous, je n’ai rien compris. Enfin si, j’ai compris que je venais de la sortir de son monde à elle. Comme lorsqu’on rêvasse et qu’on ne voit pas le temps passer… Tiens, cela fait longtemps que je n’ai pas rêvassé au point de ne pas voir le temps filer…

On en revient toujours à la même chose. Comment cohabiter, entre nous, adultes, qui ne rêvassons sans doute plus assez et nos enfants, si souvent dans leur monde ?
En réalité, j’ai décidé d’arrêter de vouloir dompter cet imaginaire galopant, même si parfois, il m’épuise. J’envie ma fille qui a, en déploiement, cette si belle capacité à s’affranchir des contraintes pour rêver.

Après quelques crises de nerf, par vague, nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il ne fallait plus chercher à lui faire ranger les choses selon nos idéaux. Des idéaux de parents pour qui aucun lien raisonnable n’unira jamais un écrou, un oeil de Monsieur Patate et une vieille culotte… Et pourtant…
Nous avons mis en place des règles simples. Deux : 1) Rien sur le sol de la chambre à la fin de la journée pour un coucher serein (ou simplement pour parvenir à atteindre le lit). 2) Pas de jouets qui traînent dans les espaces communs (Pas de château de prince esseulé en PQ dans les toilettes, pas de grotte aux ours dans notre lit – le nombre de fois où je me suis retrouvé avec un lego ou une perle coincé.e.s dans la raie de vous savez quoi…) Deux règles. Voilà. Efficaces. Donnez-nous le code du travail et on vous le simplifie en deux secondes (Aux travailleuses et travailleurs, la plus-value de leur travail, voilà, bim, c’est fait).

Nous avons créé un petit espace de jeu, en plus de la chambre, caché derrière une palissade en bois, qui est devenu le lieu du bazar créatif qu’on ne veut pas ranger le soir. Bien caché, mais bien connu d’elle.

J’ai un ami sévèrement dépressif et hypersensible qui me dit sans cesse « Vois-tu, après tout, il est plutôt bon signe d’être malheureux dans un monde si mal en point. C’est le contraire qui serait étonnant ». A nos enfants qui ont encore si intacte cette source de liberté, de rêve et d’enchantement dans un monde qui a tant perdu de vue ses utopies, laissons le champs libre. Essayons même de nous y abreuver…

Alors rêve, Louise, rêve et continue de faire cohabiter harmonieusement tous ces bidules si dissemblables. Et s’il te plaît, de temps en temps, embarque-moi.

L B-S

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