Maman à vendre

    Il semblerait – je dis bien, « il semblerait », précaution oratoire pathétique du type, les deux pieds dans la lave, qui se demande s’il peut considérer la grosse montagne en feu qui lui fait face comme étant en éruption – que nous traversions, à l’approche des trois ans de Louise, un moment assez emblématique de cette phase enchanteresse d’émancipation, aussi appelée période du non, de la différenciation, ou du cassage de c… un peu systématique, selon qu’on soit Isabelle Filliozat ou un parent lambda. Ce moment magique aussi nécessaire et agréable que la visite annuelle chez le dentiste…

Samedi dernier, tandis que j’allumais le feu dans la cheminée au rez-de-chaussée, Louise me rejoignit, s’approcha de moi et me chuchota à l’oreille :

– Papa, toi, je veux bien te garder, mais je veux changer de maman.

J’aime tendrement les chuchotis de Louise. Je sens bien qu’elle en a saisi le concept et la raison d’être, mais pas complètement le mode opératoire. Ses mots susurrés oscillent en intensité, d’audibles voire tonitruants à complètement incompréhensibles – une brise ténue, un pet silencieux – et c’est absolument charmant.

Dans ce cas-là, les chuchotements indiquaient clairement qu’elle avait conscience que se débarrasser de sa mère n’était pas quelque chose de totalement admissible ou raisonnable, qu’il fallait prendre quelques précautions sur la forme…

Pouh la la, de mon côté, j’étais bien embêté… Si je m’attendais. Pour dire, quelques minutes avant, je venais de fixer laborieusement, dans l’escalier, un cadre photo de nous trois, lors de nos dernières vacances au Portugal. Si j’avais su…

Et puis, moi, je l’aime bien, sa mère. Pour tout un tas de raisons que vous avez saisies au tamis de mes précédents articles, j’y suis attaché. Bref, bon… Comme cette phase que traverse Louise nécessite (j’ai bien tous lu les blogs parentaux, je suis un bon papa bien appliqué) un surcroit de dialogue, de patience et de compréhension, je pris la chose au sérieux. Donc, à priori, sa mère n’était pas au courant (confer les chuchotements). C’était un bon point, cela nous laissait quand même le temps de nous retourner, de trouver une solution raisonnable.

Mais comment faire comprendre à l’astre-de-mes-jours-jusqu’alors, en douceur, qu’elle n’avait plus sa place parmi nous, du coup? L’abandonner sur une aire d’autoroute le jour du départ en vacances ? Oui, mais bon, comme j’avais aimé ces quelques années passées à ses côtés, je lui devais le respect minimum de l’y abandonner avec ses affaires. Et du coup, ça voulait dire trouver un 33 tonnes, passer le permis, ou bien multiplier les allers-retours avec le coffre de toit – galère – j’avais l’impression que l’urgence de la requête écartait d’emblée ces hypothèses. La proposer sur le Boncoin et attendre que quelqu’un vienne la chercher ? Ok, elle partirait facilement, elle est bourrée de qualités. Mais c’était présager, de façon un peu optimiste, de ma capacité à la remplacer dans de brefs délais. Car dans « changer de maman », il était bien question de remplacement. Et j’avais tellement galéré à la séduire que je doutais, avec moins de cheveux et plus de vilaines habitudes, de parvenir à en charmer une aussi bien. Bref, c’était la merde. Je tentais une négociation, convoquais la raison.

– Mais Louise, elle est très bien cette maman, pourquoi veux-tu en changer ?

– Non, je l’aime pas, elle veut pas que je dessine sur ma porte.

– Ah…

Un instant, je songeais à me rallier à la consensuelle et raisonnable prise de position maternelle. Je me ravisais. Il ne fallait pas braquer mon interlocutrice, déjà visiblement terriblement à cran. Je craignais, en prenant parti, d’être forcé d’intégrer le grand charter parental destination pétaouchnok et, alors, qui s’occuperait de nourrir les chats ? Dilemme. Déjà, je me voyais devoir inscrire, dans les critères de mon profil Tinder, rechercher une femme aimant que l’on dessine sur les portes…

J’étais en plein marasme, lorsque ma femme nous rejoignit. La tension était à son comble. Avait-elle des soupçons sur sa disgrâce et son expulsion en cours ?

– Louise, je viens de fixer une grande feuille de papier sur ta porte, comme ça, tu vas pouvoir y dessiner. Mais tu ne dépasses pas de la feuille, on est bien d’accord ?

– Oh merci, maman ! C’est trop génial !

Gros bisous.

Stupeur.

J’étais paumé… Bon, mais du coup, on lui rendait sa liberté quand même (Oui, on ne vire pas, on rend sa liberté, on offre du temps libre..), ou pas ?

Je décidais d’attendre la prochaine secousse, avec le courage qui me caractérise.

Bien sûr, Louise dépassa du papier, logiquement, et c’est moi qui m’y colla. Je commençais à lui expliquer à quel point c’était dommage, parce que ça ne partirait pas, même en frottant, qu’elle pouvait investir sa chambre comme elle le souhaitait, mais qu’on avait passé du temps à tout peindre et que c’était pas mal de respecter notre travail aussi, lorsqu’elle planta ses grands yeux dans les miens et me dit :

– Papa, tais-toi, je préfère être punie que de t’écouter.

Ouch. A l’évidence, j’étais à mon tour sur la sellette…

Déjà, je percevais les chuchotis, les manigances à venir. Les mots « aire d’autoroute » et « Boncoin » échangés subrepticement, dans mon dos… Le management de l’amour filial par la terreur. Les montagnes russes. Avoir été, l’espace d’un instant, l’employé du mois et finir, conséquence de la construction d’une affirmation de soi chaotique car balbutiante, à la photocopieuse ou aux archives…. Serrer les fesses. Tenir le temps que l’émancipation se fasse… Quinze ans minimum…

Une paille.

L.B-S

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