Soyons clairs, s’il est une expérience collatérale de la paternité pour laquelle j’ai eu beaucoup d’appréhensions (alors, ok, après l’accouchement, l’arrivée de Louise, bébé, à la maison, les nuits… bon d’accord, en fait, j’ai eu des appréhensions pour à peu près tout), c’est précisément la piscine et les matinées bébés nageurs.
La première fois, nous sommes arrivés très en retard, lestés par mon enthousiasme modéré (Vous savez, le fameux « T’y mets pas du tien, on dirait que tu ne veux pas y aller » – Tiens donc ?) et une montagne de sacs.
Ma femme me proposa de s’occuper de changer Louise, ce qui, pour une première, ne me dérangeait pas du tout, étant donné que je pensais, en entrant dans le vestiaire des hommes, pénétrer dans l’antichambre de l’enfer adolescent : un endroit bourré de gamins boutonneux qui font tourner leur zizi comme des hélicoptères, se mettent de violents coups de claquettes dans le dos… (Trauma de mes 12-15 ans, force 10).
Rien de tout ça. Ouf. Eh, mais en fait, c’est plutôt calme et civilisé, un vestiaire. Première surprise.
J’entrais dans un box, ouvrais un premier sac et y découvrais trop d’affaires de Louise pour qu’il s’agisse de doublons OKAZOU (Les FAMEUX doublons au cas où). Merde !
Retour pressé en zone neutre. Plus d’épouse, plus de fille. Je criais le nom de ma femme (Aliiiiiine), dos à la porte battante de leur vestiaire, avec cette attitude de celui qui craint, en apercevant un bout de chair de l’équipe adverse, d’être qualifié d’Harvey Weinstein. Dépenaillé, aussi charismatique qu’un chiot perdu, mais qu’est-ce qu’elle fichait, bon sang.
Ma femme arriva en trombe, et je vis, à sa mine contrariée, qu’elle avait probablement découvert nos soucis d’organisation à un stade avancé de déshabillement. Echange et nouvelle répartition, en plein milieu du couloir.
– Bon attends, on ne va pas tout prendre pour aller au bord de l’eau, y a des trucs qui sont pour la fin de la séance (Ah oui ? Tu m’étonnes. Avec tout ce qu’on avait pris, on aurait pu filer une semaine aux sports d’hiver sans repasser par la maison)
Elle ou moi, je ne sais plus : – Ça ?
– Piscine. Et ça ?
– Pas Piscine. Et ça ?
– Casiers
– Euh, pas piscine ou casiers ?
– ON S’EN FOUT, C’EST LA MÊME CHOSE !
Retour au vestiaire. Je me changeais à toute vitesse et filais aussi vite que le permet une paire de tongs sur un sol glissant. Douche rapide et j’étais dans la place… Trop tôt. Mille fois trop tôt. Ça sentait la javel, ça hurlait dans tous les coins, je me sentais minable avec mes trois sacs (finalement, le goûter, les serviettes, et la succursale triée du dressing de Louise pour après la sortie de l’eau, mais avant le retour au vestiaire… Huit mètres de distance, soit une tenue nouvelle pour chaque demi-mètre parcouru) et ma chair de poule, sans ma fille comme faire-valoir (Vous savez, le « Il a l’air con, mais bon, il est papa » #compassion).
Chaque pore de ma peau hurlait en braille : Mais qu’est-ce qu’on est venus foutre dans cette galère ?
Devant moi, le bain des bébés nageurs, grouillant de parents, d’enfants, et de trucs en mousse qui flottent. Ma femme et ma fille me rejoignirent. Petit bonjour gêné à la volée et nous pénétrions dans l’eau. Petit bain pour commencer. Alors là, comment vous dire ? Je ne suis déjà pas très à l’aise en slip de bain, mais quand, en plus, j’ai les testicules à ras la ligne de flottaison, c’est carrément l’enfer… Je décidais de m’immerger, de m’oublier un peu. Nous étions là pour Louise, notre bon plaisir viendrait après (ailleurs, un autre jour, dans 10 ans, je le pensais, j’avais tort).
Partout autour de nous, de chouettes moments de partage, communicatifs. Des parents qui avaient sans doute vécu les mêmes tourments d’appréhension, mais s’étaient oubliés à leur tour pour se centrer sur l’expérience de leur enfant (Exception faite, bien sûr, du couple éphèbe-bimbo et de leur adorable poupon, en démonstration permanente, façon « Instagram ton physique et ta vie de papier glacé »).
Irradiants, des sourires, parfois confiants ou juste encourageants. Des sourires bienveillants, en coin, quand la maitre-nageuse vint nous conseiller d’enlever à Louise l’armada de dispositifs gonflables dans lesquels nous l’avions enserrée, par crainte qu’elle nous glisse des bras. Jésus marchant sur l’eau, ressuscité en un petit bout de fillette d’un an. Nous étions là pour elle (A deux, on fait difficilement meilleur taux d’encadrement), il n’y avait rien à craindre…
Ce devait être le bain de l’angoisse, de l’eau javellisée et de l’urine concentrées, ça a été celui du dénuement positif, du partage et de l’abandon de soi. Peut-être la quasi nudité favorise-t-elle la bienveillance et le partage ? (Allez, tous à poil !). Parce que c’est bien connu, sans costumes, sans armures ou artifices sociétaux, moins d’attaques, de postures. Une bienveillance de circonstance, peut-être, mais qu’importe le flacon tant qu’on a l’ivresse…
Pendant une demi-heure, nous avons expérimenté, essayé d’abandonner nos craintes en même temps que Louise, dans un sentiment de totale liberté et de quasi-apesanteur. Dans notre bulle, tous les trois. Et finalement, de courtes immersions en jeux d’eau innombrables, ça a été un moment magique.
A présent, nous y retournons tous les samedis, ponctuels comme des coucous suisses. Nos sacs se sont allégés autant que nos esprits.
Alors, oui, courez-y, claquettes, moule-bites, une-pièces informes, mais volontaires et enthousiastes, on s’en fout, courez-y, aux bébés nageurs.
L.B-S