Nous sommes le 17 octobre et depuis quelques jours fleurissent sur les réseaux sociaux des hashtags #balancetonporc comme s’il en pleuvait. Je suis écœuré. L’accumulation dessine, en creux, un monstre de mon genre, polymorphe et abject, qui devient une obsession.
Je rentre le soir et l’imagine, rodant, dans la maison, tournant autour de ma fille comme un prédateur, attendant qu’elle soit étudiante ou tout juste majeure pour poser ses sales pattes libidineuses sur elle, attendant que nous la perdions de vue, quelques instants seulement.
J’ai honte, je me sens responsable, je voudrais être autre chose qu’un être humain dans ces moments-là.
J’ai à cœur d’offrir à ma fille une éducation qui soit un champ des possibles. Je fais en sorte qu’elle puisse choisir un camion de pompier au stand de pêche aux canards, même quand la vendeuse me précise que les jouets destinés aux filles sont de l’autre côté, du côté du gloubiboulga rose à paillettes.
Je veux lui donner confiance en elle, lui donner confiance en l’autre aussi. Qu’aux prémices de n’importe quelle relation, elle rayonne sans à-priori. Mais il va me falloir faire plus que ça. L’aider à cultiver, dans le même temps, un art virulent, tempétueux de l’indignation, de la révolte.
Dois-je la mettre en garde contre les hommes, la pousser à voir, en chacun d’entre eux, un connard potentiel ? Je connais des gens qui se méfient de tout. Je ne veux pas qu’elle soit de ceux-là. Quand je lis le portrait de toutes ces femmes agressées, actrices, écrivaines, il ne me semble pas lire le portrait de femmes étriquées dans leurs ambitions, sans foi en l’avenir et en leur capacité à oser. Pourquoi se sont-elles tus tout ce temps? Je ne les accuse pas, je cherche à comprendre, ça me désarme.
Je me tais, moi aussi. Trop. Je me tais face aux injustices du monde, aux violences contre les plus faibles.
La clef est peut-être là, ma chérie. Je ne vais pas pouvoir changer le monde, je ne vais pas parvenir à faire disparaître tous les gros dégueulasses mal éduqués, ta mère non plus, pas demain en tous cas. Mais je vais t’encourager à ne pas accepter ce que tu ne comprends pas, je vais t’encourager à ne pas te taire, je vais t’apprendre à hurler, et tu m’apprendras à hurler avec toi.
L.B-S
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