Ces porcs en embuscade

Nous sommes le 17 octobre et depuis quelques jours fleurissent sur les réseaux sociaux des hashtags #balancetonporc comme s’il en pleuvait. Je suis écœuré. L’accumulation dessine, en creux, un monstre de mon genre, polymorphe et abject, qui devient une obsession.

Je rentre le soir et l’imagine, rodant, dans la maison, tournant autour de ma fille comme un prédateur, attendant qu’elle soit étudiante ou tout juste majeure pour poser ses sales pattes libidineuses sur elle, attendant que nous la perdions de vue, quelques instants seulement.

J’ai honte, je me sens responsable, je voudrais être autre chose qu’un être humain dans ces moments-là.

J’ai à cœur d’offrir à ma fille une éducation qui soit un champ des possibles. Je fais en sorte qu’elle puisse choisir un camion de pompier au stand de pêche aux canards, même quand la vendeuse me précise que les jouets destinés aux filles sont de l’autre côté, du côté du gloubiboulga rose à paillettes.

Je veux lui donner confiance en elle, lui donner confiance en l’autre aussi. Qu’aux prémices de n’importe quelle relation, elle rayonne sans à-priori. Mais il va me falloir faire plus que ça. L’aider à cultiver, dans le même temps, un art virulent, tempétueux de l’indignation, de la révolte.

Dois-je la mettre en garde contre les hommes, la pousser à voir, en chacun d’entre eux, un connard potentiel ? Je connais des gens qui se méfient de tout. Je ne veux pas qu’elle soit de ceux-là. Quand je lis le portrait de toutes ces femmes agressées, actrices, écrivaines, il ne me semble pas lire le portrait de femmes étriquées dans leurs ambitions, sans foi en l’avenir et en leur capacité à oser. Pourquoi se sont-elles tus tout ce temps? Je ne les accuse pas, je cherche à comprendre, ça me désarme.

Je me tais, moi aussi. Trop. Je me tais face aux injustices du monde, aux violences contre les plus faibles.

La clef est peut-être là, ma chérie. Je ne vais pas pouvoir changer le monde, je ne vais pas parvenir à faire disparaître tous les gros dégueulasses mal éduqués, ta mère non plus, pas demain en tous cas. Mais je vais t’encourager à ne pas accepter ce que tu ne comprends pas, je vais t’encourager à ne pas te taire, je vais t’apprendre à hurler, et tu m’apprendras à hurler avec toi.

L.B-S

Un légume pas nommé désir

Il y a quelques mois encore, servir un repas à notre fille nous installait, ma femme et moi, dans le même état de stress que le visionnage du film Freddy : Les griffes de la nuit… Sauf que le titre du film de notre vie changeait au fil des jours : Louise et les poireaux, Louise et les tomates, Louise et les brocolis… Personne ne vous entendra crier à midi…

Au commencement de la diversification, tout s’était bien déroulé. Nous rivalisions d’idées pour inventer des purées les plus festives possibles. Tout y passait, des légumes d’aujourd’hui à ceux d’antan, des légumes populaires aux oubliés pour de peut-être pas si mauvaises raisons. Et Louise les dévorait avec entrain. Nous lisions dans les livres spécialisés à quel point nous étions des parents géniaux, que tout serait facile ensuite car ce qui passait par sa bouche une fois serait bien accueilli par la suite… Mon c…

Je ne sais pas à quel moment les choses ont précisément dérapé. Dans mon souvenir, c’est quand nous avons cessé de tout mixer, date à laquelle a commencé à être possible LE TRI. A partir de ce moment-là, Louise sembla s’être dotée d’un radar de détection du végétal dernier cri. Même les petits oignons de quelques millimètres carré des pâtes à la carbonara subissaient son courroux. Un, deux, trois, et quand elle en découvrait un quatrième, elle jugeait l’assiette définitivement contaminée et la repoussait avec dédain.

Les mois qui suivirent, notre unique espoir de parvenir à lui faire avaler des légumes consistait soit à user de trompes-l’œil  façon Top Chef (tagliatelles de courgette, nuggets de chou-fleur, ah ah, tu l’as pas vu venir celui-là), soit à ensevelir douze minuscules grammes de poireau sous un litre de béchamel et de gruyère. Nous nous raccrochions alors à l’idée que la présence d’un minuscule millimètre cube de légume sous cette avalanche de protéines lactées rattachait notre plat à la grande famille des mets équilibrés, sans trop y croire.

Pendant quelques mois, happés par le tumulte de la vie qui réduisait à néant notre combativité, petit à petit, la résignation pris le pas. La poêlée de pommes de terre dit adieu aux carottes (désolé les filles, vous êtes le maillon faible), les oignons furent bannis, quant aux légumes oubliés, ils retournèrent rejoindre Alain Juppé au panthéon des gloires résilientes. Pâte-steack, riz-poisson, Pommes de terre-croque-monsieur, la diététique était devenue notre paradis perdu .

Bien sûr, nous ne l’assumions pas  et pour faire bonne figure chez nos amis, mimions l’étonnement quand devant eux, notre délicieuse progéniture repoussait une assiette de légumes. Oh ben dis donc, qu’est-ce qui t’arrive aujourd’hui, ah, c’est le basilic, ah oui, elle n’aime pas le basilic, quel dommage, parce que tout ce qu’il y a dessous, elle en raffole, vous n’auriez pas plutôt des pâtes, ah il vous reste des légumes sans basilic, vous en aviez fait de trop… et merde…

Et puis un jour, le messie arriva. Une femme. Notre nounou. Pour des raisons d’organisation, elle nous proposa de se charger des repas de midi. Euh… Des repas de midi? Vous avez des envies suicidaires et vous ne savez pas comment procéder?

Le soir du premier jour, nous n’en menions pas large. Qu’avait-elle tenté?

Une tomate. Elle avait tenté la tomate. Une simple tomate, mais pour nous, un grenade dégoupillée. Et notre fille l’avait mangée. Une tomate!!!! Une vraie tomate, pas un trompe-l’œil en viande hachée, non non.

Depuis ce jour, nous avons repris le combat avec ardeur. La tomate jurisprudentielle nous a donné confiance, et nous regagnons du terrain dans notre guerre contre la domination des féculents et des protéines. Bien sûr, à la vue d’un brocoli, Louise continue de tordre le nez. Mais elle goûte, et c’est le principal.

Parents, il faut accepter l’idée que notre relation avec nos enfants, aussi bienveillante, structurée et attentive soit-elle, a parfois besoin du concours des autres. Et qu’il n’y a pas de honte à cela, pour le bien de nos chérubins.

L.B-S

Ma fille, ses cheveux, ma bataille.

    Hier, l’astre de mes jours – qui partageait seule ma vie avant que l’astre-de-NOS-jours ne nous rejoigne – s’est absentée tôt le matin. Je me suis, par conséquent, retrouvé seul  à m’occuper de Louise, de A à Z,  ou plutôt de R à L, du réveil jusqu’au largage chez la nounou.

Comme nous sommes un couple normal (ouh, le provocateur), cela ne me posait pas de problème particulier. Je sais ce qu’elle mange au petit-déjeuner, quelle peluche lever avant quelle autre sous peine d’incident diplomatique majeur, quelle distance de sécurité maintenir entre sa bouche (d’égout) et mon nez…

Enfin, presque pas de problème, devrais-je dire.

J’aimerais être en droit de vous écrire que les cheveux de ma fille sont indomptables, crépus et qu’ils ont servi de modèle aux inventeurs du velcro,  que chacune de ses mèches semble dotée d’une capacité à se mouvoir et à prendre des décisions de façon autonome, mais il n’en est rien. Les cheveux de ma fille sont lisses et dans l’ensemble plutôt dociles. Mais moi, je suis un manche…

Dans la répartition des soins à apporter à Louise, le coiffage a, très rapidement, été pris en charge par sa mère. Pour lutter contre les stéréotypes, nous aurions pu contrarier nos natures, mais tout – pour le bon fonctionnement d’une maison – ne peut pas prendre un caractère politique et militant. Merde, quoi, parfois, on peut aussi se rendre à l’évidence, ca n’a peut-être – sans doute? – rien à voir avec le fait que je sois un homme, mais pour moi, coiffer, c’est l’enfer.

Je n’ai aucun goût de l’esthétique capillaire (la preuve, mes propres cheveux s’en sont rendu compte et ont commencé à déménager au fond du siphon de la douche depuis belle lurette), et encore moins de savoir-faire.

Louise, elle, a parfaitement conscience de l’étendue des possibilités qu’offre sa chevelure,  renforcée en ça par l’incroyable dextérité de sa mère : tresses, couettes, tresses de tresses, couettes de tresses et tresses de couettes, élastiques et barrettes…

Moi, je n’ai à mon catalogue qu’une seule proposition : la couettasse décentrée.

Avec moi, rien ne va. J’ai beau partir du sommet de son crâne, les deux mains en étau, plaquées,  pour redescendre jusqu’à sa nuque, il y a toujours des foutus creux et des bosses récalcitrantes. Une fois, deux fois, trois fois, je renonce finalement à mes prétentions de perfection et préviens mentalement les cons de cheveux qui n’ont pas voulu faire partie de l’aventure que tout ça se règlera le soir même, au bain.

Ensuite, il y a le premier tour d’élastique et tout se passe à peu près bien. Tous les cheveux sélectionnés par mes mains malhabiles sont au garde à vous. Au deuxième, j’ai déjà perdu un tiers des effectifs. Au troisième, j’enserre la seule mèche un peu benête qui n’a pas pensé à se carapater. Au quatrième, finalement, dans un sursaut, elle a réalisé que toutes les autres s’étaient barrées, et le dernier tour se fait gentiment dans le vide.

Je recommence, en ayant cette fois-ci, préalablement préparé les quatre tours d’élastique autour de mes doigts. Tout glisse, mais je parviens quand même à choper la queue de la queue, trop heureux, et là je remonte, tout part en vrille, ça tire, c’est trop à droite, non non, je t’assure, c’est vraiment joli ma chérie, dommage que tu n’aies pas d’yeux dans le dos pour voir ça, non, non, on n’a pas le temps de se regarder dans le miroir, on va être en retard chez Nounou.

Et malgré tout, au moment de quitter la maison,  quand je contemple mes créations dandiner dans le vent (la couette et son insouciante propriétaire), je suis heureux et fier. Certes ma coiffure laborieuse n’a pas la classe mainstream des œuvres élégantes mais fainéantes de sa mère (chérie, fais donc une couette de couettes de tresses de tresses et je réviserai mon jugement), mais c’est MOI qui l’ai faite.

J’ai fourni un effort considérable, je n’ai pas cédé à la facilité d’utiliser l’aspirateur ou un collier de cerclage en plastique, j’ai investi un champ de la parentalité qui ne m’était, à priori, pas ouvert, au regard de mes compétences.

Je n’ai peut-être pas encore remporté la guerre, je ne monterais probablement jamais au front sans y être contraint, mais le temps d’un matin, j’ai vaincu tes cheveux en bataille…

L.B-S

Je suis un papa positif qui s’énerve, oui!

    A toi qui dis : – T’as crié, si si, t’as crié, j’ai entendu, il a crié, eh, il a crié, il a crié !

A toi qui dis : – Eh, t’as tapé, si si, t’as tapé, je l’ai vue, c’est une tape, une fessée, il a donné une fessée !

A toi qui épies mes moindres faits et gestes éducatifs, en quête de ce qui pourrait être un manquement à l’éducation positive, comme si un écart sur le terrain pouvait me faire exclure et me renvoyer te rejoindre sur le banc des parents « qui ne croient pas à ces conneries d’éducation positive, un enfant, c’est un enfant, quoi ».

A toi à qui, dans un premier temps, je me sentais obligé de dire : « Non, non, j’ai pas crié, j’ai haussé le ton, j’ai parlé fort, tu sais, j’ai la voix grave et qui porte… » ou bien encore « Non, non, c’était pas une tape, tout juste une tapotte, une tapinette,  une caresse appuyée, rien à voir avec une fessée, ne me dénooooonce pas… ».

A toi qui semble jouir de mes écarts de conduite (parce que de ton côté, l’éducation autoritaire, ça fonctionne à tous les coups : mon fils, mon chien, ma voiture, tout ça file droit).

A toi, d’abord, je voudrais dire : merde.

Oui, merde.

 – Oh, il a dit merde, il a dit merde. C’est positif, merde ? Il a dit merde. Arbiiiiiiitre ! Carton rouge !

Je te redis en articulant : mer-de. Merde merde merde merde merde. Puis, mentalement, je te fais manger des cafards. Et après, je vais me confesser.

–  Isabelle, Sainte Filliozat, pardonne-moi, j’ai pêché. Mais pardonne-leur aussi, ils ne savent pas ce qu’ils font.

Je vais tenter de te dire un truc :

Je pense, et je ne suis pas le seul, qu’un enfant est un être doué d’intelligence et de raison. Une intelligence et une raison qui se construisent, petit à petit, qui prendront de l’ampleur si je lui fais confiance, si je dialogue avec lui. Jusque-là, ça va, c’est simple, non (du coup, tu vois la différence entre un enfant et une voiture) ?

– Oh, la phrase bateau, moi aussi je pense ça.

– Laisse-moi terminer.

– C’est toi qui écris mes dialogues, je te signale, tu fais ce que tu veux…

– Euh…

Donc je disais :

Mais je suis faillible. Voilà, intègre ça dans ta petite caboche, je suis faillible.

Quand je vois Louise me lâcher la main ¼ de seconde au bord de la route, et amorcer une traversée enthousiaste alors qu’une voiture arrive, j’ai peur. Mais peur de chez peur. Je crie, il peut même m’arriver d’avoir un geste brutal pour la récupérer. Parce qu’à ce moment-là, ce n’est pas ma raison qui domine, ce sont mes émotions. Comme Hulk. Même si ça n’a rien à voir. Enfin un peu quand même…

Quand j’ai passé une journée infernale, que mon patron me les a brisées menu , que je rentre exténué et que Louise me demande une fois, deux fois, trois fois (jusqu’à douze fois en moins de trente minutes) de faire de la peinture sur du papier (du papier, de la table et du carrelage, on sait comment ça se passe), que je refuse, qu’elle ne le comprend pas  (Peut-elle comprendre spontanément ce qu’est un patron tyrannique, qui est Trump, ce qu’est une panne de batterie, à 2 ans ?) et se met à pleurer, il peut m’arriver de ne pas trouver les ressources pour dialoguer, expliquer. Alors parfois je crie, je me renferme. Ça ne sert à rien, mais je crie.

Alors jusque-là, tu vas me dire, on est pareils. Ben ouais, mon gars, on est pareils. A une différence peut-être notable. Moi, je me refuse juste à faire de mes moments d’égarement une norme éducative. C’est aussi simple que ça. Donc j’essaye de faire en sorte qu’ils arrivent le moins souvent possible. Donc, après avoir crié, été violent, ou manipulateur (oui, ben on l’est tous, faut pas se mentir), le plus souvent possible, je m’excuse. J’explique à Louise pourquoi j’ai eu peur, pourquoi j’ai mal réagi. Je m’excuse.

Voilà, avoue que c’est simple. Raison – Emotion – Raison. Et ainsi de suite.

Maintenant, lâche-moi la grappe.

L.B-S

L’amour, c’est chouette, mon cul !

MA fille s’est faite larguer comme une merde.

La veille des vacances, au moment si précieux où d’autres couples d’enfants s’envolent en scooter vendre des bracelets brésiliens sur les plages d’Arcachon. Sans un mot, à peine un regard. Je ne comprends pas, une enfant si douce, si gentille, si intelligente.

Je vous ai déjà parlé du petit Thomas, 3 ans. Ce petit salopiaud, qui lui offrait un baiser avant de lui arracher le jouet qu’elle tenait en main ; cette couche souillée, qui la prenait dans ses bras  avant de lui jeter des duplos (placement de produit !!!) au visage quelques minutes plus tard. Je n’ai jamais compris leur relation toxique.

Elle valait tellement mieux. C’était une brute épaisse, au comportement instable. Gentil par moments, mais moi, adulte, je lisais dans son regard que ça n’était que pour servir ses perfides intérêts. La sensibilité d’une enclume; lorsque je le rencontrais, il n’y en avait que pour son tricycle minable, un trois roues rouge clinquant, très « nouveau riche ».

Un macho, en plus, qui, lors des promenades du matin avec la nounou, prétendait défendre ma fille des agressions extérieures en la collant comme une gommette ratatinée dans les poils d’un balai. Comme si elle avait besoin de ça…

Il l’a quittée, comme ça, un baiser sur la joue et l’affaire était entendue.

Comme il fallait que je trouve les mots pour réconforter ma fille, j’ai demandé une explication à ses parents. La rentrée en maternelle, m’ont-ils dit… La rentrée en maternelle ! Traduit en adulte, c’est l’équivalent du « Je vais chercher des cigarettes, je reviens dans 20 ans »… Si peu original.

Je trouve d’abord très limite d’avoir eu besoin d’en passer par ses parents (Monsieur et madame Frankenstein) pour obtenir une explication. Mais surtout, je connais son école maternelle (ah, ah, j’ai Google Map, tu m’as pris pour un noob !). Elle est à moins d’un kilomètre de chez la nounou ! A tout juste une heure de tricycle par la rocade ! Un saut de puce, sale pou !

Ma fille a été très digne. Je l’ai observée tout l’été et à aucun moment, elle n’a semblé en avoir quelque chose à faire. Mais je sais qu’au fond d’elle, elle était dévastée. A deux ans et demi, on ne se remet pas si facilement d’une relation de près de deux ans…

J’espère qu’elle va apprendre à se méfier des hommes. De sa génération. Inconstants, imprévisibles. J’espère qu’elle va se reconstruire rapidement (cela dit, je pense, moi, qu’il lui faudra au moins une quinzaine d’années pour ça…)

En attendant, je suis là, moi. Son papa. Mais déjà, j’ai peur pour elle. Un nouveau petit garçon, Léon, est arrivé chez la nounou (alors elle, je la retiens, c’est au minimum de la négligence, au pire, de la complicité). Le courant semble être passé entre eux deux. Un an et demi. Encore moins mature que l’autre assassin des beaux sentiments.

Je le surveille, et je vous dis.

PS : « Méfie-toi, Léon, que ma fille ne te serve pas l’excuse de la rentrée en maternelle dans 10 mois… Et te fasse payer ainsi la note laissée par Thomas ».

L.B-S

Mon crabe

  Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement orgueilleux. J’ai ma fierté, mais je supporte assez aisément les petits coups de griffes que lui assène régulièrement la vie quotidienne. La paternité l’a cependant rendue un poil plus chatouilleuse.

Cet été, nous nous sommes arrêtés un jour au bord de la mer, au nord de l’Espagne. La mer était belle, quelques rochers occupaient la plage et Louise découvrait les joies des châteaux de sable, et de l’exploration du littoral. Décor idyllique, blablabla, si j’avais été bloggeur parental «ma-vie-est-extraordinaire-quoiqu’un-peu-romancée-sors-ton-chéquier», j’aurais fait plus de photos en une journée que durant tout le reste de ma vie. Même pas besoin de filtres Instagram, c’était vous dire la beauté de la chose.

Grisée, Louise se mit à jouer avec trois enfants espagnols (Ca, c’est magique, un enfant à l’étranger. Aucun apriori, pas de barrière de la langue, un enfant est un enfant, un adulte est un adulte, et vas-y, on piétine joyeusement le concept minable de xénophobie). A un moment, elle revint vers moi et me demanda d’attraper… un crabe. Les trois autres enfants avaient fait de même avec leur père.

Un crabe, mais bien sûr ma chérie. Je suis ton père, je suis un HOMME, mes ancêtres étaient des chasseurs, un crabe, à côté d’un mammouth, ce n’est franchement pas grand-chose, allons voir dans les rochers.

A quatre pattes, et après un moment de recherche, j’en trouvais un qui se cachait dans un petit trou. Parfait, j’entrepris de l’attraper. A la main. Un minuscule crabe de quelques centimètres. Parfait. Mais pourquoi je tremble ? Il se cache… le vilain. C’est quoi cette attitude de crabe ? On dirait qu’il tient à la liberté et à son intégrité physique, c’est pourtant nul une vie de crabe…

C’est la plus grande humiliation de mes vacances. Le père des trois enfants, lui, capturait des crabes à tour de bras (l’équivalent espagnol du blond de Gad Elmaleh) et moi, j’étais toujours à essayer de négocier la sortie du mien. A chaque fois que je le touchais, je poussais un petit cri, si aigu que ma virilité finit par prendre congé pour aller chercher meilleur endroit où vivre.

En fait, voici à peu près ce qu’irrationnellement, je projetais :

crabe

Je n’ai pas réussi à l’attraper. Louise fut déçue à peu près 14 secondes avant de passer à autre chose, l’estime que je me porte prit quant à elle un coup fatal…J’avais failli, je n’avais pas été à la hauteur des attentes de ma fille et de mes ancêtres. Je suis allé me coucher sur le sable, prétextant qu’il fallait que je me remette de ce combat inégal, pour, en réalité, cogiter et me trouver des excuses. Quelque chose à servir à ma fille de plus reluisant que papa, tu sais, ses réflexes de chasseur sont un peu émoussés depuis que maman achète la viande déjà morte au marché le mardi matin. Et j’ai trouvé.

Je suis à présent certain que ce petit crabe cachait derrière lui un plus-petit-encore crabinou, qui comptait sur son papa. Pour le protéger. Et qu’à ce moment, des deux démonstrations de paternité, il était évident, pour le monde, pour Hollywood, que seule celle de mon crabe pouvait triompher. La mienne était futile, la sienne était vitale.

Et qu’à sa place, j’aurais moi aussi été à la hauteur. J’aurais trouvé le courage de m’accrocher à mon rocher pour te protéger et continuer à être présent à tes côtés, ma crabinette. Ça m’a remonté le moral, un truc de fou. Et quelques minutes après, on a fait un château de sable du tonnerre de Zeus. Papa n’est pas un très grand chasseur (et c’est tout à son honneur), mais c’est un putain d’architecte.

L.B-S

Y a un cauchemar dans notre placard.

     Après des mois de traque sans relâche, nous l’avions enfin débusqué. Il était tapi dans l’ombre, à l’affut, l’air de rien, prêt à flinguer notre déco ou nos principes éducatifs écoresponsables. Par petits coups de boutoirs, à coups de griffe, il revenait à la charge.

Au commencement, impossible de comprendre. Ça débute en douceur, il sait y faire, le bougre. C’est d’abord quelques chips à l’huile de palme que vous retrouvez dans la bouche de votre enfant juste avant le repas lors d’une grande fête de famille, alors que le bol est clairement trop haut pour qu’il l’atteigne. C’est un premier cadeau, une housse de protection de livret de famille tricotée main* (Qui, qui s’alarmerait pour un truc pareil ???!!!), puis un second (un coussin love-love beurk beurk à l’effigie de votre fille, en feutrine), puis vient le premier jouet en plastique criard avec des piles et qui hurle…

Impossible de comprendre d’où cela vient. Un ami, un frère aux goûts douteux, ça se jugule, ça se raisonne. Ça s’invite en dehors des occasions d’offrir… Mais lui, lui, impossible, on ne le voit pas venir, pire, on ne le connaît pas.  C’EST L’AMI DE VOS PARENTS.

Il ne respecte rien, il offre quand ça lui chante (il est généreux, le salopiaud, c’est un fait), il est là sans qu’on le décide, mais surtout, il profite du pire des intermédiaires. Quand vos parents débarquent avec une tente-chapiteau « La Reine des neiges », vous lisez dans leur regard qu’ils n’ont pas eu le choix. Vous voyez le pistolet de l’amitié ancestrale et poisseuse sur leur tempe. Ils tremblent, le regard éteint, dont l’ultime lueur semble vous hurler : « Si vous le jetez, il le saura, il le sauuuuura. Planquez le, mais ne le jetez pas ». Planquez-le… Comme si tout le monde vivait dans 200 m2 et pouvait en consacrer 20 à un espace de la honte…

Alors vous souffrez en silence (parce que vous aimez vos parents et que vous ne voulez pas qu’il leur arrive quelque chose de mal – vous avez vu tous les opus de « Destination finale »). Un plaid recouvrant par ci, un cache-misère par là. Vous avez une justification toute prête, quand vos amis de bon goût – ceux qui vous respectent – viennent à la maison, et que le sang commence à couler de leurs yeux ou de leurs oreilles, confrontés à l’immonde.

Et puis les choses se calment un peu. L’ami de vos parents trouve d’autres victimes. Le traumatisme s’efface. Quelque temps. Un an et demi, deux ans peut-être. Et puis un jour, vous retrouvez à nouveau des chips à l’huile de palme dans la bouche de votre enfant juste avant le repas d’une fête de famille. (Votre corps se tend… Noooon, il est de retour !) Sauf que cette fois, c’est l’astre de vos jours qui a atteint le bol tout seul. Un sac hyper hétéronormé, un deuxième jouet à piles investissent votre intérieur. Sauf que c’est vous qui les lui avez achetés… Avec VOS sous. C’est vous, sous la pression de votre enfant. Vous avez assoupli vos règles (non, non, pas abandonnées, assouplies, parce que vous essayez d’être à l’écoute, de raisonner, vous savez que la conscience écologique est une chose qui se construit (et que vous n’êtes pas irréprochable), que ce que vous appelez le « bon goût » est une chose parfaitement subjective, et que votre enfant est en train de construire le sien. Parce que vous avez vos instants de faiblesse aussi – vous êtes humains, bordel).

Et là, vous comprenez. Dans votre vision écologique du monde, tout être a une fonction dans un écosystème. L’ami de vos parents aussi. Il est celui qui assouplit le cuir, qui prépare à la négociation inéluctable de vos principes. Il est la vaseline, au service de développement personnel de votre enfant. Chaque cadeau merdique, chaque entorse à vos principes participait en réalité à ouvrir une brèche à votre délicieuse progéniture dans la muraille de vos certitudes.

Vient alors le temps de ressentir une forme de tendresse. De reconnaissance, même, pour celui ou celle qui fut le cauchemar dans votre placard…

*Pour des raisons évidentes de ménagement des susceptibilités, tous les objets de délit ont été modifiés. Amis de mes parents, si vous veniez à lire cet article (Oui, il fut un temps où l’ami de vos parents était une quiche de l’internet, ce temps est révolu), que cela ne vous donne pas des idées…

L.B-S

Père positif au goutte à goutte

    Je tente quelque chose… Profitant de l’été et des indisponibilités à créer de mon ami William (Entre ses vacances en famille et son boulot d’animateur en centre de loisir, pour le voir, il faudrait que j’interrompe sa nuit entre 2h et 2h15 du matin, et même à ce moment-là, il faudrait probablement que je fasse la queue, le créneau étant souvent occupé par ses deux enfants), je vous propose une nouvelle forme d’expression, peut-être complémentaire de nos vidéos, peut-être redondante parfois, ce sera à vous d’en juger.

Tenu par la Convention Internationale des papas blogueurs (si, si, elle existe) qui s’assure que les premiers articles des nouveaux blogs de papas tournent autour des thèmes capitaux que sont le pipi, le caca ou les limites gymnastiques de la vie sexuelle pendant la grossesse, j’ai choisi de vous parler aujourd’hui de pipi. Du premier pipi au pot plus exactement.

Alors, non, je ne vais pas vous écrire ce billet 1000 fois lu sur la joie (l’extase) que ressentent un papa ou une maman la première fois que leur délicieuse progéniture offre à un pot en plastique ce qu’elle réservait jusque-là à sa couche. Certes, je fus heureux, mais je sus me contenir, désireux que je suis d’inculquer à ma fille quelques références sur l’échelle des émerveillements (ça pourra toujours lui servir plus tard) :

Le chat qui vomit des touffes d’herbe, c’est fascinant (non, non, tu ne peux pas l’aider, Louise), le soleil qui se couche juste derrière, c’est quand même autre chose…

Le petit Thomas (vous allez en entendre parler souvent de celui-là, ma fille en est dingue, moi, je le déteste plus que Bachar-El-Assad, il a 3 ans, ma fille lui offre plus de baisers en un journée que je n’en aurais en toute une vie, bref, elle mérite tellement mieux, mais j’y reviendrais…), le petit Thomas, disais-je, qui plante un bout de jambon dans son carré de polenta (Wouaaaah… minable), c’est certes spectaculaire, papa qui construit une terrasse en bois de ses mains, c’est mieux.

Le premier pipi au pot, c’est bien, l’accord de Paris sur le climat, c’est quand même autre chose, bref, vous avez compris l’idée.

Non, moi, ce que je voulais vous écrire pour ce premier article, c’est plutôt ce qui a suivi ce premier pipi. Ce moment où le désir de parentalité positive et la réalité de l’efficacité du quotidien s’affrontent. Lorsque ma fille a voulu dire adieu à sa toute nouvelle création en l’emmenant finir ses jours dans les toilettes des grands.

Je ne l’ai pas vu verser dans les toilettes la seule goutte qui avait survécu au chaos de sa démarche d’enfant de deux ans . J’étais trop occupé à la suivre à quatre pattes, avec mon éponge, comme Poucet ramassant ses cailloux, goutte après goutte. C’était papa positif, c’était encourageant pour elle, un brin humiliant pour moi, l’expression de la confiance que j’avais en elle. Nos vies de parents positifs marchent sur cet équilibre subtil, ce fracas constant entre l’envie d’efficacité (parce que bon, autant, en homme qui se respecte, je peux rater de quelques gouttes le centre de la cuvette quand je fais pipi, autant il est rare que j’en foute de partout, sur le chemin de la salle de bain aux WC…) et le désir d’accompagnement.

Aujourd’hui, nous portons ensemble le pipi jusqu’en sa dernière demeure. Main dans la main – ou plutôt mains sur le pot. Certes, ça me pète le dos (et ça ressemble furieusement à un jeu à Koh-Lantah), mais nous y trouvons un équilibre… dans tous les sens du terme.

L.B-S